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pressentir des opérations plus générales et plus décisives. Quelles seront ces opérations ? Telle qu’elle se présente, la question semble être tout entière entre un assaut immédiat et une campagne contre l’armée russe. Qu’on le remarque au surplus : sous quelque forme qu’elle se poursuive, la guerre n’a toujours qu’un but, c’est de conquérir me paix sûre et efficace, d’assurer à l’Europe les garanties de sa sécinité, et c’est ici que les opérations militaires se lient intimement aux négociations diplomatiques, dont elles deviennent un des élémens.

C’est à la diplomatie en effet qu’il appartient aujourd’hui de fixer le prix des efforts qui ont été accomplis, de marquer le point où la guerre aura atteint son but, et au-delà duquel elle ne serait plus qu’une perturbation inutile. Telle est la grande question qui s’agite à Vienne entre les représentans des puissances qui ont un rôle dans la crise actuelle. Nous n’avons point, on le conçoit, la prétention de connaître les détails des débats qui ont eu lieu jusqu’ici dans la conférence. Ces détails sont encore du domaine des cabinets. Il y aurait d’ailleurs une question bien plus importante, qui serait la première en réalité, et d’où tout le reste pourrait être déduit : elle consisterait à savoir dans quelles dispositions réelles les gouvernemens se sont présentes aux conférences qui viennent de s’ouvrir. Or sous ce rapport tout indique que les puissances occidentales sont entrées dans les négociations diplomatiques avec une pensée sincère de conciliation et de modération. L’Angleterre et la France, qui ont accepté cette guerre dès l’origine, et l’Autriche, qui est sous les armes, n’ont rien abandonné évidemment des garanties qu’elles réclamaient, des conditions strictes d’une pacification conforme à l’intérêt public de l’Europe ; mais leur attitude même démontre qu’elles ont eu l’idée de faire une tentative sérieuse. L’Angleterre y serait peut-être conduite par ce vague sentiment de malaise qui la tourmente depuis quelque temps. Le voyage de notre ministre des affaires étrangères, qui vient de se rendre à Londres d’abord, et qui doit ensuite partir immédiatement pour Vienne, prouve assez l’importance que le cabinet français attache aux négociations. Le voyage que l’empereur lui-même doit faire le mois prochain en Angleterre indique tout au moins l’ajournement de son départ pour la Crimée.

Quelles sont d’un autre côté les dispositions de la Russie ? Si on ne consultait que les apparences, on éprouverait, il faut l’avouer, un certain embarras. Le nouvel empereur a prononcé plus d’une parole qui ne laisse point d’être belliqueuse, et l’appel que le saint-synode de Saint-Petersbourg vient d’adresser au peuple russe, au nom de la foi orthodoxe, est tout empreint de ce fanatisme religieux sous lequel se cache toujours l’ambition de dominer en Orient ; mais en même temps la dernière circulaire de M. de Nesselrode, en date du 10 mars, est d’un esprit plus conciliant. En résumant à son point de vue et en sanctionnant de nouveau les conditions qui sont devenues le point de départ des négociations actuelles, le chancelier de Russie élude, il est vrai, la question principale, qui a trait à la Mer-Noire ; il se montre pret cependant à accepter une transaction honorable pour mettre fin aux rivalités des grandes puissances en Orient. Cela dit, l’état présent des choses observé avec soin, les dispositions probables des gouvernemens appréciées, les conditions générales de la paix connues, peut-être est-il plus facile de se rendre compte des travaux de la conférence de Vienne. Ces travaux ont dû