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clure soi-même que de refuser de se placer sur le terrain où étaient les autres puissances. Les conférences ont commencé en effet et se poursuivent sans que le cabinet de Berlin y soit représenté. Voilà le résultat le plus clair de la politique prussienne. Comment en serait-il autrement ? Le cabinet de Berlin passe son temps, depuis quelques mois, à défaire le lendemain ce qu’il a fait la veille. Quand il a pris l’apparence d’une résolution, il s’en effraie lui-même, se hâte de revenir sur ses pas, et en voulant se mettre a l’abri de toute difficulté, il s’en crée avec tout le monde. Rien ne le prouve mieux que le dernier incident diplomatique qui s’est produit en Allemagne au sujet de la décision de la diète de Francfort qui règle la mise en état de guerre des contingents fédéraux. Cette décision était si manifestement la conséquence de la position prise par la confédération germanique dans la question d’Orient, que l’Autriche a dû l’interpréter ainsi. Or c’est ce que la Prusse a contesté en prétendant donner à la décision du 8 février le sens d’un acte conservatoire qui ne se relierait en rien à la convention du 20 avril, et qui tendrait uniquement à sauvegarder l’indépendance de l’Allemagne vis-à-vis de tous les belligérants. Les puissances occidentales pouvaient voir là une manifestation indirecte contre elles ; c’est sur le sens réel de la décision fédérale du 8 février que s’est engagée une guerre de circulaires et de dépêches entre la Prusse et l’Autriche, qui ne pouvait évidemment accepter l’interprétation du cabinet de Berlin. On comprendra que les cours de Londres et de Paris ne devaient pas davantage admettre l’attitude singulière prise par la Prusse, d’autant plus que cette attitude était en contradiction avec les missions de M. d’Usedom et du général de Wedell. Malheureusement la question est allée plus loin, et, sous prétexte de défendre la politique prussienne, M. de Manteuffel a adressé au ministre du roi Frédéric-Guillaume à Paris une note où il se plaint un peu de tout le monde, de l’Autriche, de la France. Cette dépêche, qui n’a pas été communiquée au gouvernement français, bien qu’il s’agit de lui, n’est point aujourd’hui probablement sans avoir reçu une réponse. Le plus curieux, c’est la manière dont M. de Manteuffel envisage la situation de son gouvernement. La Prusse, selon le chef du cabinet de Berlin, serait dans la position d’une puissance qui ne demanderait rien, qui serait au contraire sollicitée de donner son adhésion, son concours. Sans doute, on n’en est point à reconnaître l’avantage du concours de la Prusse, et il n’a point tenu aux cabinets de Londres et de Paris qu’elle ne figurât aux conférences de Vienne. Il faut s’entendre cependant. Est-ce la France qui a expédié des missions extraordinaires ? M. de Wedell est-il un général français envoyé à Berlin ? Il résulte de tous ces incidens que la Prusse n’a fait qu’aigrir ses rapports avec l’Autriche et les cabinets de l’Occident, et, comme conclusion dernière, les chances de sa rentrée dans le concert européen ont diminué dans la même mesure. Un homme d’expérience diplomatique, dans une brochure récente sur l’état de l’Europe au commencement de 1855, examine avec un zèle éclairé quels seront les résultats de la crise actuelle pour chaque puissance. La France aura attesté une fois de plus son ascendant militaire, l’Autriche aura pris une position considérable. Qu’aura gagné la Prusse ? Elle aura gagné d’être isolée et rejetée dans une situation dont les conséquences pèseront sur sa politique, la paix fût-elle même faite aujourd’hui.