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l’abattit de toute sa force sur le crâne de l’Avar qui n’avait point de casque. Quoique parti d’un faible bras, le coup fut assez rude pour que le barbare en restât étourdi : il lâcha les rênes du cheval et alla lui-même rouler par terre. Grimoald alors, ressaisissant le frein de sa monture, fit volte-face, prit le galop, et, se cramponnant comme il put, parvint à rejoindre ses frères. Les cavaliers avars, déjà rentrés dans leur camp, ne songèrent pas même à le poursuivre. Cette aventure hâta probablement le massacre des prisonniers, car on put craindre que, les enfans de Ghisulf donnant l’éveil aux Lombards, il n’en résultât quelque attaque de vive force ou quelque embuscade dans la montagne : tous les hommes furent passés par les armes. En si bon train d’exécutions, le kha-kan ne voulut point quitter le Champ-Sacré sans avoir accompli un grand acte de justice barbare. Il fit dresser au milieu de la plaine un pieu aiguisé par le bout, puis il ordonna qu’on lui amenât Romhilde : « Misérable femme, lui dit-il, voilà ton mari ; c’est le seul dont tu sois digne ! » Quatre vigoureux soldats la saisissent à ces mots, la placent sur le pal malgré ses pleurs, et l’armée avare décampe, la laissant se débattre dans les convulsions de l’agonie.

De pareilles prouesses ne donnaient, il faut l’avouer, une idée bien rassurante ni de la bonne foi des Avars ni du caractère particulier de leur kha-kan, et pouvaient justifier les appréhensions d’Héraclius. Toutefois l’ambassade romaine reçut en Hunnie un accueil si empressé, les protestations d’amitié du kha-kan furent si vives, et son air de franchise si parfait, que le patrice Athanase et son compagnon sentirent leurs soupçons se dissiper. Le kha-kan se plaignait amicalement qu’on eût pu le mal juger, lui qui ne respectait rien tant au monde que l’empereur Héraclius, et n’avait pas d’autre ambition que d’être un serviteur fidèle des Romains. « Il voulait, disait-il, aller discuter en personne avec leur prince les bases de l’alliance nouvelle dont on lui parlait, et que pour son compte il désirait rendre éternelle. » Cette proposition remplit de joie les ambassadeurs, et sur leur rapport à la cour de Constantinople, on s’occupa de fixer un lieu convenable pour les conférences ; le kha-kan poussa les bons procédés jusqu’à proposer lui-même Héraclée, qui, n’étant qu’à quatre lieues de la longue muraille et à dix-sept de Constantinople, n’exigerait pas de l’empereur un grand déplacement. L’attention du barbare à venir ainsi au-devant de tous les vœux des Romains parut d’un excellent augure, et on s’habitua à considérer l’alliance, une alliance ferme et durable, comme déjà conclue. Aussi l’empereur s’ingénia-t-il à recevoir dignement son hôte et à faire du temps des négociations un temps de plaisirs ; il ordonna en conséquence la préparation de courses de chars et de jeux scéniques extraordinaires qui