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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/261

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SCÈNES DE LA VIE ITALIENNE.

— On le dit amoureux d’une chanteuse. Je voulais voir cette Teresina ; mais je viens d’apprendre qu’elle ne jouera plus à Rome. Elle a signé un engagement avec un impresario de Naples.

— C’est une faible perte pour le public romain.

— Il ne s’agit pas de cela. Teresina ne partira pas seule. J’ai deviné pourquoi mes lettres sont restées sans réponse. Il n’ose se montrer.

— De qui parlez-vous, comtesse ?

— Je me parle à moi-même. À présent recevez mes instructions : pour des raisons que vous n’avez pas besoin de connaître, il m’importe de revoir une fois le chevalier avant son départ pour Naples. Allez chez lui, amenez-le-moi mon ou vif : je ne lui demande que des égards, cinq minutes d’entretien, un bon souvenir, un adieu amical, — et puis il sera libre.

— Comtesse ! s’écria Francesco, ce langage m’épouvante. Il semblerait, … on pourrait croire, si l’on vous entendait…

— Personne ne nous écoute, interrompit Elena, et comme vous avez en moi une confiance aveugle, je ne crains de votre part aucune supposition fâcheuse ou blessante. Faut-il vous rappeler votre serment d’obéissance passive ?

— Non, comtesse. Je ne l’oublierai plus.

— Vous direz donc au chevalier que s’il persiste dans cette voie du silence, je le poursuivrai jusqu’au fond des enfers, tandis que je lui pardonnerai tout s’il se conduit en galant homme. Saurez-vous le convaincre de cela ?

— Je ferai de mon mieux, comtesse.

— Eh bien ! allez, volez, et rapportez-moi une réponse favorable.

— J’y cours… Mais si le chevalier refuse de me recevoir ?

— Vous forcerez le passage.

— Et si le valet de chambre ne veut pas me laisser passer ?

— Vous lui casserez la tête.

— Je vous obéirai, comtesse.

Don Cicillo enfonça son chapeau jusque sur ses yeux, et sortit d’un pas résolu. Il se sentait comme électrisé. L’atome contagieux de la fièvre s’était glissé dans ses veines..

— Saint François, protégez-moi ! se disait-il. Voici le plus grand danger que j’aie couru de ma vie. Je ne reculerai point, je pousserai l’aventure jusqu’au bout. Oui, Elena, je vous servirai, dussé-je me colleter avec un laquais.

En parlant ainsi, don Cicillo descendait rapidement la colline de Monte-Cavallo, où était situé le palais Corvini. Arrivé sur la place d’Espagne, le terrain devenant plat, il ralentit un peu sa marche.

— Ouais ! pensa-t-il, une lutte corps à corps est chose grave, et je n’ai pas même une canne pour me défendre. Essayons d’abord de