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emportant l’or avec lequel les Romains s’étaient rachetés. Le témoignage isolé et partial de Tite-Live ne peut infirmer ces témoignages réunis et qui ont pour eux la vraisemblance. Tite-Live déclare lui-même que son histoire ne commence à mériter toute confiance qu’après la prise de Rome par les Gaulois. Il faut donc en prendre son parti. Les Romains ont été rançonnés par les Gaulois, qui ne les ont épargnés qu’à ce prix. Le Capitole, qui a vu tant de triomphes, a vu cette transaction fâcheuse et ce honteux rachat. Si cette pensée est jamais venue au triomphateur qui gravissait la glorieuse colline un jour humiliée, il y avait là, mieux que dans les railleries permises au soldat, de quoi tempérer l’orgueilleuse ivresse de la victoire. Du reste, les Gaulois, ou du moins leurs descendans, y sont retournés deux fois et y sont encore. À ce propos, je ne puis m’empêcher de citer une caricature assez gaie qui représente un conscrit français plumant une oie au Capitole, avec ces mots : Vengeance d’un Gaulois.

Rome Ayant été détruite par l’invasion, on proposa de nouveau, comme on l’avait déjà fait après la prise de Véies, d’aller habiter cette ville au lieu de Rome. Les tribuns soutinrent cette proposition. Les patriciens, plus enracinés au sol, la repoussèrent obstinément, et Camille la fit abandonner. L’imagination a. peine à se persuader que Rome eût pu être ailleurs que là où elle est aujourd’hui. Quoi! les sept collines seraient un lieu sauvage où l’on viendrait voir le soleil se coucher dans la solitude, tandis qu’à l’isola Farnese s’élèveraient les débris du Colysée et le dôme de Saint-Pierre.

Les Romains affectèrent toujours de traiter avec dédain! la nation gauloise pour se venger de la peur qu’elle leur avait faite et de l’humiliation qu’elle leur avait causée. Ils appelèrent une guerre avec les Gaulois un tumulte[1]. Quoiqu’il en soit, ils se sont complu à célébrer par la sculpture les désastres publics et les revers privés des Gaulois. Le bas-relief d’un sarcophage, qui est dans le musée du Capitole, représente un combat très vif entre les Romains et les Gaulois. Ceux-ci sont reconnaissables à leurs chevelures flottantes, à leurs moustaches, à leurs longs boucliers, mais surtout à leur emportement dans la bataille, à leur fougue dans la mêlée. Un guerrier se fait remarquer par l’effort avec lequel il soulève sa longue épée pour frapper l’ennemi. Un autre est tombé de son cheval et voudrait se relever pour combattre encore. Le chef, voyant que la victoire est impossible, avec cette facilité à mourir que donnait aux Gaulois leur croyance à l’immortalité de l’âme, se tue

  1. « Nation née pour les vains tumultes, » dit Tite-Live. Tite-Live a en trop souvent raison.