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traces de ses ancêtres, quand de nobles érudits partent pour ces conquêtes de la science avec un enthousiasme patriotique, quand la langue, l’esprit, les mœurs d’une famille autrefois si glorieuse revivent chez ses descendans au souffle inspiré des historiens et des poètes, ce vaillant spectacle nous enchante sans qu’aucune inquiétude vienne troubler notre plaisir. On sent ici un juste accord du courage moral et de la raison pratique. Ces efforts ne seront pas vains, ces triomphes n’appelleront pas de tragiques revanches; on n’a pas à redouter pour ces généreux patriotes les erreurs et les mal-entendus qu’ont causés les désastres de la Hongrie. Si dans la fièvre de 1848 les Slaves se laissent entraîner un instant, s’ils prétendent dominer l’Autriche, s’ils veulent, comme ils disent, briser les dents de l’Allemagne, les chefs du moins ne seront pas dupes de ces espérances impatientes, et, confiant cette cause à l’avenir, ils reviendront plus ardemment que jamais à leur pacifique propagande. La Bohême, en un mot, malgré son insurrection du 12 juin 1848, a travaillé sur tout à une révolution littéraire et morale; la Bohême a pris la bonne part.

N’est-ce pas là du reste une marche qui s’indiquait d’elle-même? Le pays de saint Wenceslas et du grand Ottocar a des traditions qui provoquent naturellement les recherches de la science, et l’oubli qui recouvre en Europe ces glorieuses destinées est un stimulant de plus à l’activité des érudits. On sait que la Bohême, au commencement du XVIe siècle, avait perdu son indépendance; on sait aussi que la culture intellectuelle de ce pays, développée encore avec éclat après sa réunion à l’Autriche, avait disparu pendant les désastres de la guerre de trente ans. Ce qu’on ne sait pas assez, c’est que, pendant trois siècles, du XIIIe au XVIe, le royaume des Wenceslas, des Ottocar et des Jean de Luxembourg avait joué un rôle immense au milieu des nations germaniques, qu’il avait plusieurs fois donné des empereurs à l’Allemagne, qu’il avait presque atteint, sous Charles IV et Wenceslas VI, à cette suprématie que l’avenir réservait à l’Autriche. On vit là, dès le moyen âge, ces luttes de race que notre époque a réveillées, et il y eut un instant où la race slave fut sur le point d’avoir la prépondérance au sein de l’empire.

Ces souvenirs, si complètement perdus pour l’Europe, les Tchèques eux-mêmes n’en retrouvaient plus la trace. Tout ce qui donne à un peuple une physionomie originale semblait enlevé pour jamais à la Bohême. La langue des ancêtres avait à moitié péri dans le feu et le sang; conservée encore par le peuple des campagnes, elle avait disparu des écoles, des livres, des actes officiels, et au lendemain de cette guerre de trente ans, qui n’avait laissé que des ruines dans le