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pays de Wallenstein, le latin avait pris la place de l’idiome fixé par Jean Huss. Où était encore la Bohême? qui se souvenait de son rôle et de sa grandeur d’autrefois? Les traditions étaient si bien détruites, que Joseph II, à la fin du XVIIIe siècle, essaya sans trop de peine de substituer la langue allemande à la langue latine, et d’enlever ainsi à ce malheureux peuple le dernier signe d’une race à part, le dernier simulacre d’une existence distincte. Alors parut un homme simple, dévoué, qui se consacra par piété patriotique à d’effrayans labeurs, et qui, resté obscur pendant sa vie, est vénéré par les Bohèmes d’aujourd’hui comme un envoyé de la Providence : je parle du grand philologue Dobrowsky. Dobrowsky ne songeait pas à ressusciter la langue des Tchèques; il n’y voyait qu’une langue éteinte, et s’il soupçonna un jour qu’elle pouvait receler encore quelque étincelle de vie, ce fut seulement à la fin de sa carrière et trop tard pour mettre cette idée à l’épreuve. Qu’importé? Cette langue qu’il croyait frappée de mort, Dobrowsky l’étudiait avec une sagacité supérieure, il en pénétrait le génie, il en découvrait les origines, les vicissitudes, les affinités historiques, il en reconstruisait enfin tout l’édifice, et préparait ainsi sans le savoir les écoles plus ardentes qui eurent l’ambition de rendre le souffle et la vie à cet idiome si doctement restauré. Les Bohèmes ont quelque droit de signaler l’action providentielle de Dobrowsky; sans les travaux de l’éminent philologue, la rénovation de l’esprit national aurait pu être le rêve de quelques esprits d’élite, elle n’eût pas été ce mouvement unanime qui a retenti si haut, et qui déjà vient de rendre à la Bohême, non pas certes sa puissance politique du XIVe siècle, mais une chose bien précieuse aussi, sa conscience nationale et ses titres de gloire aux yeux de l’Europe.

Ce mouvement n’est pas une de ces explosions subites dont la violence compromet la durée; il a traversé deux phases distinctes, et deux générations y ont pris part, chacune avec ses aptitudes particulières. On sent ici une force secrète qui se déploie et grandit. La première école est encore timide en ses allures; la seconde, mieux assurée de sa foi, s’avance comme une armée conquérante. Citons d’abord les premiers : c’est l’historien Pelzel, écrivain peu attrayant, mais grave, convaincu, dévoué à la vérité, et qui retrouva maintes pages de l’histoire de sa patrie, défigurées par les haines et les préjugés des Allemands; c’est Antoine Puchmayer, ce sont les deux frères Negedly, c’est surtout Kramerius, qui sut se faire lire du peuple des campagnes, et Faustin Prochazka, qui, le premier, mit en lumière les vieux documens nationaux. Les noms que je rassemble ici sont demeurés chers au patriotisme bohémien; il s’en fallait bien