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personnage de Fidès un accent d’une réalité plus poignante. Elle a chanté avec beaucoup d’onction et d’éclat l’air du second acte, O mon fils, sois béni ! et dans la scène capitale du finale du quatrième acte elle a été beaucoup plus vraie que Mme Viardot en reconnaissant son fils et en succombant sous son regard plein de larmes et de prières. Au cinquième acte, dans la scène non moins importante de la prison, elle a su éviter les écueils où son courage pouvait échouer. Toutefois, nous ferons remarquer à Mme Stoltz qu’elle ne s’est point encore corrigée d’une certaine accentuation trop ambitieuse qui gâte parfois ses meilleures inspirations, et qu’elle fait saillir certaines syllabes plus fortement que ne l’exige la déclamation plane de la langue française. Et puis n’a-t-elle pas exagéré aussi la prostration physique de Fidès au quatrième acte ? Ces cheveux gris, ce corps affaissé et qui succombe à la douleur maternelle, ne sont-ils pas des signes d’une trop grande vérité ? N’oublions pas que le théâtre, et surtout le théâtre lyrique, doit être le mirage de la vérité choisie.

Un opéra en deux actes, qui a dû faire tressaillir l’ombre de Molière, a été donné au théâtre de l’Opéra-Comique il y a quelques jours : la Cour de Célimène, dont les paroles sont de M. Rosier et la musique de M. Ambroise Thomas. C’est bien de la Célimène du Misanthrope qu’il s’agit, et bien que l’auteur du libretto se soit abstenu de toute allusion téméraire, sa donnée n’en est pas moins puisée à la source immortelle. La belle Célimène est veuve, mais non pas corrigée de l’aimable défaut qui a fait le désespoir d’Alceste ; elle continue à avoir une cour brillante d’adorateurs qu’elle enchaîne à ses pas par mille artifices d’une coquetterie raffinée. Ce qui prouve d’ailleurs que notre siècle est infiniment plus moral que celui de Molière, c’est que la Célimène de M. Rosier, après avoir voulu se jouer d’un cœur aussi généreux que celui d’Alceste, est dédaignée à son tour par le chevalier, qui repousse sa main et sa fortune. Quelques mots plus ou moins spirituels et une assez bonne scène au second acte entre le chevalier et la baronne, qui, voulant servir le chevalier auprès de Célimène, se trouve être l’objet d’une déclaration imprévue, ont fait écouter la pièce sans trop de fatigue. Il nous sera plus difficile de qualifier la musique que M. Ambroise Thomas a composée sur ce canevas de comédie. Otez Mme Miolan, qui chante à ravir le rôle de Célimène, et dont les caprices de vocalisation, les tours de gosier, les points d’orgue ingénieux sont écrits avec beaucoup d’adresse et d’élégance, surtout dans les accompagnemens, et il ne reste pas une phrase de dix mesures qu’on puisse signaler, soit qu’on prenne le duo des deux femmes au premier acte, le quatuor qui vient après, le finale ou tout le second acte. Extrayez de l’opéra un ou deux chœurs et plusieurs vocalises à deux et à trois voix d’un tour piquant, et il ne restera au fond du creuset que la réputation de M. Ambroise Thomas, qui est un fort habile homme.

Franchement, je préfère à toute cette habileté stérile, qui excite l’admiration des nombreux quasi-compositeurs qui assiègent les portes de la renommée, les deux petits actes qui ont été donnés au Théâtre-Lyrique sous le titre de Lisette, paroles de M. Sauvage. La partition, qui est le premier ouvrage de M. Eugène Ortolan, fils de l’honorable professeur de l’École de droit,