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ces luttes pacifiques de la fantaisie aimable qui ont fait la fortune du Théâtre-Italien sous la restauration et la monarchie de juillet.

Dans il Trovatore de M. Verdi, qui a été accueilli, non pas avec enthousiasme, mais avec bienveillance et faveur, Mme Freziolini a été vraiment touchante. Au quatrième acte surtout, dans la belle scène du Miserere, elle s’est élevée si haut par la vérité des accens, la noblesse de la pantomime, par le goût et la chasteté de la composition, qu’aucune cantatrice moderne ne saurait lui être comparée. Jamais Mme Malibran n’a été aussi parfaite et n’a su contenir sa fougue impérieuse dans une conception aussi savante. Quels regrets pour nous et pour tous ceux qui aiment le bel art de chanter, que Mme Frezzolini ail tant tardé à venir à Paris et qu’elle ait fatigué une si riche organisation à populariser des œuvres de décadence ! L’apparition de Mme Viardot dans le rôle d’Azucena a donné aux dernières représentations du Trovatore un nouvel attrait.

On vient de reprendre à l’Opéra le Prophète de Meyerbeer, qui n’avait pas été donné depuis le départ de M. Roger. Mme Stoltz, à qui le rôle de Fidès était destiné dans l’origine par l’illustre maestro, a dû laisser un si bel héritage à Mme Viardot, qui a su en tirer, comme on sait, un assez bon parti. Après Mme Viardot, Mme Alboni et Mme Tedesco ont successivement chanté le même rôle en y déployant chacune des qualités particulières. Mme Tedesco y a été à peu près insignifiante, et, malgré sa belle voix et les avantages de sa personne, n’y a produit aucun effet qui mérite d’être signalé. Mme Stoltz, qui a joué le rôle de Fidès à Turin, où elle a obtenu, à ce qu’on assure, un très grand succès, vient de l’aborder aussi à Paris après quelques hésitations. Pour une artiste qui a de la sensibilité et de l’intelligence, il y a toujours moyen de se frayer un passage à travers les plus grandes difficultés. Quelles que soient la profondeur et l’originalité d’un caractère, il peut être envisagé de plusieurs manières sans qu’on altère pour cela la conception du maître. Donnez à dix compositeurs le même thème à traiter, et ils en feront dix morceaux différens, tout en conservant l’intégrité de la pensée première. Les combinaisons de l’esprit et de la passion sont infinies, il n’y a de limité que la lettre et la forme matérielle qui sert à la manifestation de la vie intérieure. Meyerbeer, dont quelques amateurs de cantilènes contestent le génie, parce que ce génie profond et passionné ne retrouve sa force, comme Antée, qu’en posant un pied sur le théâtre, est précisément le seul compositeur dramatique qui ait su créer des caractères. Bertram dans Robert, Marcel dans les Huguenots, et Fidès dans le Prophète, sont des types vivans, comme des portraits de Rembrandt, de Van Dyck ou d’Holbein. Quoi qu’on dise, quelles que soient les réserves qu’on puisse faire sur les procédés employés par le maître, on ne peut lui contester la faculté rare de tirer du néant des êtres qui vivront plus longtemps que les créatures de Dieu, pour parler le langage de M. Guizot. Caspar dans Freyschütz, Bertram, Marcel, Fidès, dans l’œuvre de M. Meyerbeer, et Éléazar dans la Juive de M. Halevy, sont peut-être les physionomies les plus saillantes qui existent dans le drame lyrique. Mme Stoltz, qui avait à lutter contre des souvenirs dont ne peuvent se défendre les juges les moins prévenus, a su tourner la difficulté, et elle a imprimé au