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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/445

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créatures des pachas et des grands et les créatures de leurs créatures, qui dédaignent à la fois et les écoles et les grades subalternes auxquels elles conduisent, comptaient et comptent encore pour une proportion infiniment grande dans les grades supérieurs. Ces gens-là sont le fléau de l’armée, où ils apportent les habitudes cupides de leurs maîtres, l’insubordination et la nonchalance particulières à qui se sent protégé, l’ignorance et la pauvreté morale de l’homme qui n’a jamais rempli que des fonctions domestiques ou d’autres moins faites encore pour élever les caractères. Beaucoup d’entre eux ne valent pas le plus humble des soldats qu’ils ont l’honneur de commander. Il ne faudrait pas tirer de là une règle absolue, car parmi les généraux et les officiers supérieurs de l’armée turque on trouve aussi des hommes braves et honnêtes; par malheur il ne faut pas un bien grand nombre d’individus de l’autre espèce pour corrompre et perdre une armée, surtout lorsque parmi les hommes respectables on en compte si peu qui aient de l’expérience et de l’instruction. C’est ainsi que la manière dont ses troupes sont commandées et administrées a déjà coûté au sultan deux armées en Asie, c’est ainsi que son armée de Roumélie, son armée d’Europe n’eût peut-être pas été plus heureuse, si la fortune ne lui avait donné dans la personne d’Omer-Pacha un chef qui dès aujourd’hui a conquis sa place parmi les illustrations militaires de notre époque.

Il me semble qu’il ne peut pas y avoir plusieurs façons d’apprécier le mérite d’Omer-Pacha. S’il y a quelques doutes à cet égard, ce ne peut être que sur la question de savoir ce qu’il faut admirer le plus de sa sagesse ou de sa vigueur, de sa prudence ou de son activité. Entouré de pièges et d’intrigues, comme l’est toujours malheureusement un général turc, il a su tout maîtriser, tout dompter par l’énergie de son caractère, retenant dans l’obscurité et réduisant à l’impuissance les élémens impurs, mettant en lumière ceux qui méritaient d’être distingués, ne paraissant que très rarement de sa personne, car il n’était ni à Oltenitza, ni à Citate, ni à Silistrie, mais dominant si bien tout le monde, que le mérite de tout ce qui a été fait est remonté jusqu’à lui, et qu’en fournissant à ses lieutenans les occasions d’acquérir quelque gloire personnelle, il n’a jamais pu en être jaloux. C’est là une des plus grandes et des plus rares qualités du commandement, celle qui appartient surtout aux hommes supérieurs. Placé à la tête de troupes jeunes, inexpérimentées, imparfaitement équipées et plus mal pourvues encore, il les a nourries par des prodiges d’activité et d’intelligence, il les a formées et aguerries, il leur a inspiré une confiance absolue dans leur chef; il leur a imposé des fatigues et des travaux extraordinaires, harcelant l’ennemi sans cesse, l’inquiétant, l’attaquant, le combattant partout sur la