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guerre, surtout quand il s’agit d’aller la faire sur le territoire russe.

L’expédition se fit donc, et d’abord tout parut lui sourire. Le temps lui fut propice, et sa navigation ne fut pas inquiétée par l’ennemi. On a peine à le comprendre. En effet, bien que l’on ne doive avoir qu’une confiance très limitée dans les divers états qui ont été publiés de la flotte russe, il semble cependant acquis que dans les premiers jours du mois de septembre 1854, au moment où l’escadre combinée partit de Baltchick suivie d’un immense convoi (quatre ou cinq cents voiles), il existait dans le port de Sébastopol une centaine de bâtimens de guerre armés, dont neuf vaisseaux de ligne au moins et cinquante ou soixante canonnières. On se demande encore pourquoi les Russes n’essayèrent pas de tirer un parti quelconque d’un armement aussi considérable. Ils n’avaient sans doute pas de chance de remporter une victoire navale sur les alliés, très supérieurs en force et surtout en tactique navale; cependant s’ils eussent fait une sortie en masse de Sébastopol, s’ils se fussent précipités sur un convoi qui occupait plusieurs lieues en longueur, qui, composé de bâtimens de toutes les espèces et de toutes les dimensions, devait nécessairement naviguer dans un certain désordre, on ne sait pas ce que, les circonstances aidant et avec l’imprévu qui joue toujours un si grand rôle à la mer et dans les opérations militaires, ils auraient pu produire. Il est probable qu’ils auraient presque tous succombé sous le feu de nos vaisseaux, ou même sous l’avant de nos frégates à vapeur; pourtant ils avaient de bien grandes chances aussi de jeter la panique dans le convoi, de le forcer à se séparer, de faire des avaries à un certain nombre des transports, et sinon de désemparer l’expédition, au moins de faire en sorte que pour un mois ou six semaines il fût impossible de la réunir et de la remettre en état. Or six semaines, c’était partie gagnée pour les Russes, car il est à peu près certain qu’une fois le mois d’octobre passé, l’expédition aurait dû être remise au printemps de l’année suivante. Je sais bien que la flotte russe aurait disparu à peu près tout entière dans cette tentative désespérée; mais n’était-ce pas pour elle un sort plus honorable que celui qui lui était réservé d’être coulée bas par les mains de ses équipages pour servir de barricade au fond de la mer ?

De même le débarquement se fit de la manière la plus heureuse, sur une plage bien choisie, où les circonstances locales sauvaient aux assaillans la plupart des dangers qui accompagnent toujours une opération si délicate. Il fallut cependant trois journées entières pour l’accomplir, et dans ce cas encore, comme dans le précédent, on ne s’explique pas l’inactivité des Russes. Ils étaient campés à six lieues au plus du point de débarquement, dans une position formidable, hérissée de redoutes et d’artillerie, et qu’ils auraient dû, à ce qu’il