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les ruines d’Abou-Reycheyd un monument consacré à Rhamsès Meiamoun, et qu’il suppose se rattacher à l’exécution du canal par ce pharaon.

L’opinion d’Hérodote, qui avait voyagé et longtemps séjourné en Égypte, est la plus généralement adoptée, et quels qu’aient été le nombre et le sort des tentatives antérieures, il résulte du texte bien positif de cet écrivain que les premiers travaux étaient généralement attribués par les Égyptiens eux-mêmes à Necos, et que l’entreprise aurait été menée à fin pour la première fois par Darius, fils d Hystaspe (521-435 ans avant Jésus-Christ). Comment supposer en effet qu’Hérodote, qui voyageait en Égypte vingt-cinq ans seulement après la mort de Darius, ait pu se tromper sur un point aussi capital que l’achèvement du canal, et ne rien dire de la prétendue différence de niveau qui avait arrêté Darius et ses ingénieurs? Hérodote affirme de la manière la plus positive que le canal débouchait dans le Golfe-Arabique, et puisque la rive du golfe n’a pas changé sensiblement, comme d’ailleurs la longueur qu’il donne au canal correspond parfaitement à cette rive, il faut bien admettre que le canal, dès cette époque, avait été poussé jusqu’à la mer. D’ailleurs il serait bien difficile de comprendre comment, le canal ayant été conduit jusqu’aux lacs amers, la partie, si facile et si utile, de ces lacs à Suez n’aurait pas été ouverte. Il n’était pas besoin d’ingénieurs alors pour reconnaître la relation des niveaux du Nil et de la Mer-Rouge, car, lorsque le bassin était plein, ses eaux s’avançaient, dans la partie basse du seuil, presque jusqu’à la laisse de la haute mer, et quelques coups de pioche suffisaient pour établir la communication et faire déverser ses eaux dans la mer. Ce fait une fois reconnu, il s’agissait, pour établir un canal régulier, de remuer un cube de terre d’au plus 200,000 mètres, et qu’était ce travail pour des monarques qui ont élevé les pyramides et qui disposaient à leur gré d’une immense population et d’armées innombrables?

Enfin une dernière preuve de l’achèvement du canal par Darius, c’est le monument si remarquable reconnu sur la rive occidentale du bassin des lacs amers pendant l’expédition de 1799, par MM. de Rozières, Devilliers, Delille et Alibert. Ce monument ou plutôt les débris qui en restent se composent de blocs de granit et de poudingue. Quelques-uns des blocs de granit portent des inscriptions cunéiformes bien conservées, et qui font remonter l’origine de ce monument au temps de l’occupation de l’Égypte par les rois de Perse. Il est naturel, dans l’ignorance où nous sommes de sa destination, de le rapporter aux travaux exécutés par Darius dans l’isthme, et si cette supposition était fondée, la position qu’il occupe prouverait que le canal a été poussé dès cette époque jusqu’à la mer. S’il en était autrement,