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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/661

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UN FAUX DAUPHIN EN AMÉRIQUE.
The Lost Prince, by John H. Hanson. New-York, 1854.

O imitatores servum pecus ! Il faut souvent répéter, en lisant l’histoire, l’imprécation d’Horace contre les plagiaires. Rien de plus rare que l’originalité, même dans le crime, même dans la folie. Que de révolutions renouvelées des Grecs ! que de grands hommes modernes singes de l’antiquité! Hérodote nous conte que le roi Cambyses, dont la tête était un peu dérangée, vit en rêve son frère Smerdis assis sur le trône de Cyrus et touchant de sa tête au firmament. Cambyses croyait aux songes, et s’empressa de dépêchera Suze un homme de confiance qui le débarrassa de ce frère dangereux. Peu après, Cambyses mourut lui-même. Or il y avait en Perse un homme d’esprit, mage de profession, qui s’avisa de se faire passer pour le défunt Smerdis, et il y réussit d’autant plus facilement que, Cambyses mort, l’homme qui avait assassiné l’héritier présomptif se gardait bien d’en convenir, n’ayant plus d’éditeur responsable. Il faut avouer que ce mage, s’il inventa lui-même l’imposture, fut un grand homme en son genre. Malheureusement il n’avait pas d’oreilles, le feu roi Cyrus les lui ayant fait couper pour je ne sais quelle peccadille. Une des sultanes constata la chose et la redit à des gens trop fiers pour obéir à un roi désoreillé. Après quelques mois de règne, le faux Smerdis fut massacré au milieu de son palais. On oublia sa fin tragique; on se souvint seulement qu’il avait été quelque temps maître d’un vaste empire, possesseur des trésors de Cyrus, usufruitier du harem de Cambyses, et la morale qu’on tira de l’aventure fut qu’un imposteur pouvait réussir, s’il avait des oreilles.

Je ne sais si Perkin Warbeck, qui se fit passer pour Richard IV, avait lu Hérodote, mais je suis convaincu que le faux Démétrius de Russie avait entendu parler du faux Smerdis, car je trouve que dans une de ses harangues il cite, à propos de bottes, les Assyriens et les Mèdes. Il me semble voir là le bout de l’oreille et la conscience du plagiaire qui l’oblige à se trahir lui-même. Quoi qu’il en soit, ce mage audacieux a trouvé plus d’un imitateur, et il en a un encore, à l’heure qu’il est, quelque part eu Amérique, dans la personne du révérend Eleazar Williams, missionnaire protestant, Iroquois de nation, au dire de quelques gens de peu de foi, mais qui, selon M. Hanson, auteur du livre que je viens de lire, ne serait autre que Louis XVII, roi de France et de Navarre. Je me hâte de dire que jusqu’à présent le révérend Eleazar Williams n’a fait aucune démonstration de revendiquer son trône, et qu’il parait principalement occupé de la conversion des Indiens Mohawks, idolâtres ou papistes, dont le salut lui semble également compromis.