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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/662

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Le biographe de ce nouveau prétendant est un homme d’esprit, connaissant assez mal l’Europe, pas du tout la France, d’ailleurs avocat subtil, ergoteur ingénieux, habile à discuter les mots et à découvrir un sens caché sous les expressions les plus simples. Il excelle, comme on dit, à fendre un cheveu en quatre. Probablement, il y a un siècle et demi, il aurait acquis une grande réputation comme généalogiste, s’il s’était appliqué à procurer des titres de noblesse aux enfans trouvés enrichis dans la rue Quincampoix. Aujourd’hui, sur un sujet extravagant, il a fait un livre qui se laisse lire, et c’est un succès déjà considérable.

Selon la recette, un peu triviale, de tous les avocats chargés d’une cause périlleuse, M. Hanson commence par embrouiller de son mieux l’histoire du vrai dauphin fils de Louis XVI. À cet effet, il traduit, en le commentant à sa manière, l’ouvrage de M. A. de Beauchêne, qui s’est livré à tant et de si patientes recherches sur les derniers momens de ce malheureux enfant. Dès qu’il est parvenu à élever un doute sur quelque petit fait, il a bien soin de faire remarquer qu’il emprunte ses argumens à un auteur convaincu de la mort du dauphin, et il en tire parti comme des aveux d’un adversaire. M. de Beauchêne, historien consciencieux jusqu’à la minutie, n’a voulu négliger aucun renseignement, et quelquefois il a dû produire des témoignages plus ou moins contestables. Il a d’ailleurs le soin de les contrôler par une critique sévère, et c’est sous toute réserve qu’il admet les révélations reçues longtemps après la mort du jeune prince. On conçoit que les hommes qui l’ont approché pendant sa captivité sont des témoins nécessairement un peu suspects. Les uns ont pu altérer les faits pour excuser ou faire valoir leur conduite ; les autres, sans aucun motif intéressé, ont pu céder au désir si ordinaire d’ajouter quelques ornemens à leur lamentable récit. À Dieu ne plaise que je révoque en doute les mots pleins de délicatesse et de sensibilité que le prince, selon le rapport de ses gardiens, aurait laissé échapper pendant les derniers jours de son agonie ! La terrible révolution que l’approche de la mort produit sur un malade explique suffisamment un développement extraordinaire de l’intelligence. Jusqu’à présent, on avait cru que ce malheureux enfant, qui, depuis les infâmes dépositions qu’on lui avait arrachées par la terreur, avait gardé un silence obstiné, s’était laissé vaincre par quelques bons traitemens, et avait consenti à parler à des gens qui lui semblaient autres que les monstres dont jusqu’alors il avait été environné. M. Hanson ne se contente pas d’une pareille explication. — Le jeune prince a été volontairement muet pendant plusieurs semaines ; quelques jours avant sa mort, il a parlé. Savez-vous ce que cela prouve ? C’est que l’enfant qui a fait entendre quelques phrases entrecoupées n’est pas celui qui a gardé le silence. Le prisonnier a été enlevé, on a substitué un autre enfant à sa place, et l’on n’en peut douter, car un garde national qui avait vu le dauphin aux Tuileries, ayant regardé, par une porte entre-bâillée, le prisonnier couché dans son lit, au Temple, a déclaré que le spectre décharné qu’il avait aperçu lui semblait plus grand que le prince. Donc ce prisonnier n’était pas le dauphin. — L’argument me paraît si concluant, que je n’hésiterai pas à m’en servir pour proposer une petite correction à l’histoire du XVIe siècle. Ce n’est pas Henri de