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le Tage, réponds-moi, Miguela, aurais-tu couru vers nous pour nous embrasser et nous consoler ?

— Oui, oui, elle l’eût fait, répondit la marquise, empressée de venir au secours de Miguela, qui fondait en larmes ; oui, Joaquim, votre fille a bon cœur. Cette aisance qui vous est assurée désormais, recevez-la comme la rançon de sa faute, et pardonnez-lui !

Ces paroles de la marquise, qui lui inspirait un grand respect, parurent avoir produit quelque impression sur le vieillard. — Au nom de ma mère, qui m’a bénie en mourant, au nom de ma mère, dit Miguela, pardonnez-moi !

Elle s’était jetée au cou du vieillard. Celui-ci ne put résister à son émotion quand il sentit entre ses bras sa fille chérie ; il lui sembla qu’il la voyait belle, parée comme une grande dame, vêtue de blanc comme les anges peints sur les vitraux des églises. En invoquant le souvenir de sa mère, Miguela avait touché la fibre sensible de ce cœur ulcéré. Joaquim, confondant en un même souvenir sa femme morte et sa fille retrouvée, embrassa celle-ci sans rien dire, mais en pleurant aussi. Ils se tenaient donc étroitement embrassés, quand Joãozinho entra à son tour.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il, tout surpris de cette scène à laquelle il ne comprenait rien, maman qui embrasse le vieil aveugle vêtu de neuf ! Est-ce une comédie nouvelle ?…

La marquise l’attira près d’elle, et, le conduisant vers le vieillard : — Senhor Joaquim, lui dit-elle, et votre petit-fils qui veut sauter à votre cou !…

L’enfant, effrayé de voir ces visages sérieux et tout en pleurs, levait sur la marquise des yeux inquiets ; mais le vieillard le prit dans ses bras, et, le soulevant à la hauteur de sa joue : — Ah ! petit espiègle, lui dit-il en souriant, tu te moquais de ton grand-père l’aveugle !… Eh bien ! tu le conduiras par la main, n’est-ce pas ?

Le visage de l’enfant se contractait visiblement ; une grande envie de pleurer se peignait sur ses petits traits. — Ah ! Joãozinho, continua le vieillard, tu as du parfum dans les cheveux, et tu portes du velours, mon enfant ; on a fait de toi une poupée !… Où donc est son père, Miguela ?

— Répondez donc, mon amie, dit la marquise ; et comme Miguela gardait le silence, elle ajouta : — Son mari est à Cuba, senhor Joaquim.

— Et qu’est-ce qu’il fait ?

— Mais répondez donc, Flora, répéta la marquise.

— Madame, dit Miguela en faisant un suprême effort, c’est à vous que je vais répondre autant qu’à mon père. Celui que vous appelez mon mari, le père de Joãozinho, n’est ni à Cuba ni en Espagne ; il est