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mort : il a été tué en duel à Coïmbre. C’était le baron de…, votre neveu, madame. En mourant, il m’avait recommandé de revenir à Lisbonne, de m’introduire auprès de vous, de rechercher votre patronage et votre appui, et de lui garder le secret.

— Des histoires ! voilà encore des histoires ! s’écria le père Joaquim. Un baron, un duel !… Ah ! mon Dieu, que dirait ta mère, si elle vivait ? Madame la marquise, est-ce vrai, ce qu’elle dit là ?

— En vous déguisant la vérité, j’obéissais à ses volontés dernières. Lisez cette lettre que je porte toujours sur moi, vous y verrez que la mort seule l’a empêché d’épouser celle qui devait quelques mois plus tard donner le jour à son fils.

Cet aveu inattendu déconcertait aussi la marquise. Son premier mouvement fut de se reprocher d’avoir été trop crédule, d’avoir cédé trop légèrement à la sympathie qu’elle ressentait pour dona Flora ; mais la lettre qu’elle tenait entre les mains, cette lettre tracée par son neveu blessé à mort, n’était-elle pas un acte de réhabilitation rédigé en bonne forme et valable aux yeux de tous ? Elle le comprit ainsi. Sans trop se demander si elle eût pardonné de bon cœur et sans peine à son neveu une pareille mésalliance, la marquise sentit que la découverte de ce mystère n’avait en rien affaibli son affection pour dona Flora. Sa tendresse pour Joãozinho, sa bonté aidant, elle accepta courageusement ce qui était irrémédiable, et calma de son mieux les scrupules du vieux Joaquim, moins porté à pardonner certains écarts dont les exemples sont plus rares parmi les familles obscures et sages des habitans de la campagne.

— C’est égal, répondit l’aveugle avec tristesse, j’aimerais mieux avoir eu pour gendre un pêcheur, un pauvre berger, connu de tout le monde, qu’un fidalgo, un baron mort avant ses noces, et que personne n’a vu !

Miguela, qui s’était éloignée depuis quelques instans, reparut dépouillée de son élégante toilette, vêtue du capote et le lenzo sur la tête, comme une femme du peuple.

— Mon père, dit-elle à demi-voix, dona Flora a fait ses adieux au monde ; elle est redevenue ce qu’elle eût mieux fait d’être toujours. Prenez le bras de votre Miguelila et allons trouver mon frère.

Celui-ci, inquiet de ne point voir revenir son père, rôdait autour de l’hôtel ; ils le trouvèrent donc au premier pas qu’ils firent dans la rue. Sur la proposition de Miguela, ils montèrent tous les trois à l’appartement qu’elle occupait chez la marquise. On raconta d’abord les événemens de la soirée au pauvre Vicente, qui parut plus troublé que content de tout cet imbroglio. S’il eût, par bonheur, recouvré son bras enlevé par un biscaïen sur la côte d’Afrique, sa joie eût été plus grande, plus complète. Après avoir présenté Joãozinho à son oncle