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« Telles sont les véritables causes de la préférence que les Arabes ont pour leurs jumens. Cette préférence ne vient donc pas de ce que le poulain emprunte plus de qualités à sa mère qu’à son père ? elle ne vient pas non plus de ce qu’il est préférable, en tout lieu et en toute occasion, de monter une jument plutôt qu’un cheval ; non, elle s’appuie d’un côté sur des intérêts matériels, et de l’autre sur les nécessités imposées par le genre de vie que mènent les Arabes.

« Il faut proclamer en définitive que l’étalon est plus noble que la jument. Il est plus fort, plus courageux, plus rapide à la course, et il n’a pas les inconvéniens graves de la jument, qui s’arrête quelquefois brusquement sous son cavalier, dans le combat même, alors que celui-ci aurait besoin qu’elle courût. Cela arrive lorsqu’elle est en chaleur et qu’elle voit l’étalon.

« L’étalon a plus de force que la jument, et la preuve, c’est qu’en supposant qu’un étalon et une jument soient frappés d’une blessure mortelle et identique, la jument tombera à l’instant, tandis que l’étalon ne tombera le plus souvent qu’après avoir sauvé son maître.

« J’ai vu une jument qui avait été frappée d’une balle à la jambe ; l’os du canon, — keusba (le roseau), — avait été fracturé ; ne pouvant vaincre la douleur, immédiatement elle s’affaissa.

« Un cheval entier fut atteint d’une blessure semblable ; sa jambe cassée n’était plus retenue que par la peau ; il continua à courir en s’appuyant sur sa jambe saine jusqu’à ce qu’il eut enlevé son maître du champ de bataille, et alors seulement il tomba. »


« Quatrième question. — S’il est constaté par les Arabes que le poulain participe toujours des qualités de son père, pourquoi vendent-ils donc assez facilement leurs étalons, et ne se défont-ils de leurs jumens que dans des circonstances très graves ? »


« Voici ma réponse :

« Les Arabes préfèrent la jument au cheval pour les trois causes que j’ai signalées plus haut, et ces trois causes font assez comprendre pourquoi, chez nous, la valeur que l’on attache à la possession d’une jument doit être supérieure à celle que l’on attache à la possession d’un étalon, leur origine fût-elle la même. En effet, si d’un celé le poulain emprunte plus au père qu’à la mère, d’un autre côté le propriétaire d’un étalon ne peut gagner en un grand nombre d’années ce que le propriétaire de la jument peut gagner en une seule, si elle venait à mettre bas.

« Cependant, lorsqu’un étalon a prouvé des qualités extraordinaires, il arrive aussi qu’on ne veut plus s’en défaire ; c’est qu’alors il rapporte autant à son maître, soit par le butin, soit autrement, que la jument du prix le plus élevé.

« J’ai vu chez les Annazas, tribu qui s’étend depuis Baghdad jusqu’à