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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/786

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la Syrie, des chevaux tellement hors de prix, qu’il devient presque impossible de les acheter, et surtout de les payer comptant. Ces animaux, d’une valeur fabuleuse, ne sont vendus qu’à de hauts personnages et à de riches négocians qui les paient en trente ou quarante échéances, ou bien encore par une rente perpétuelle consentie au vendeur et à ses descendans. »


« Cinquième question. — La preuve, m’a-t-on dit, que chez les Arabes la jument est classée bien avant le cheval, c’est que la naissance d’un poulain, quelle que soit la noblesse de son sang, est, pour ainsi dire, regardée comme un malheur, tandis que s’il naît une pouliche, c’est au contraire l’occasion d’une grande joie dans la famille. Cette pouliche est destinée à continuer la race, notre seigneur Mohammed est entré dans la tente, il nous a apporté une bénédiction, etc. »

« Voici ma réponse :

« La naissance d’un cheval ne peut jamais être considérée comme un malheur par les Arabes, bien qu’ils préfèrent les jumens pour les avantages matériels qu’elles procurent. Les jumens produisent presque toutes ; quelques-unes seulement sont frappées de stérilité, ainsi que cela arrive à certaines femmes, et c’est en grande partie leur fécondité qui leur vaut la faveur dont elles jouissent.

« Je le répète, on ne peut être malheureux de la naissance d’un animal qui garantit son maître de l’humiliation.

« Un poète a dit : « Mes frères me blâment d’avoir des dettes, et cependant je ne les ai contractées que pour des choses qui leur font honneur : en faisant manger à tous le pain de Dieu, en achetant un cheval de noble race qui sert de talisman à mon goum et en lui donnant pour domestique un esclave. »


« Sixième question. — On a vu des Arabes pleurer en se séparant de leurs jumens, qu’ils avaient cependant vendues à des prix énormes ; mais on n’a jamais vu d’Arabes pleurer en se séparant de leurs chevaux. Quand on veut citer un animal remarquable, on n’entend jamais dire : le fameux cheval du cheikh un tel, mais toujours la jument du cheikh un tel. — Pourquoi ? »

« Voici ma réponse :

« C’est là une erreur. Les Arabes aiment leurs chevaux d’une manière absolue, comme l’homme aime ses enfans, et cela parce que le cheval est le plus noble animal après l’homme. Tout le monde sait que le cheval de sang est fier comme un fils d’Adam et qu’il ne mange pas les restes d’un autre animal.

« Les Arabes prétendent qu’aucun peuple ne connaît comme eux la puissance du cheval et ses perfections ; aussi portent-ils très haut l’estime qu’ils ont pour lui, et cela parce qu’il sert à la poursuite comme à la fuite. Il est dans les mœurs et dans la nature des Arabes,