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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/787

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depuis les temps les plus reculés, de se faire la guerre les uns aux autres, ainsi qu’aux nations voisines. L’Arabe pauvre a donc besoin du cheval pour tomber sur les biens de son ennemi, s’en emparer et s’enrichir, comme l’Arabe riche a également besoin du cheval pour protéger sa fortune et sa tête.

« Les Arabes disent : « Le cheval est le milan, et le chameau la proie. La proie qui est dans les serres du milan ne peut être sauvée que par d’autres milans. »

« Lorsqu’une veuve dans le désert est propriétaire de vingt chameaux, sa tribu la force à acheter un cheval destiné à les protéger. Un parti ennemi vient-il à fondre sur les chameaux, l’usage veut que cette femme donne son cheval au guerrier qui l’a monté et les a sauvés.

« Chez les Arabes, les chameaux ne peuvent appartenir qu’à ceux qui savent les défendre.

« Les Arabes aiment leurs chevaux comme le père aime son enfant, mais, comme cela est juste, ils les aiment encore davantage quand ceux-ci leur rendent de véritables services.

« Les Arabes peuvent vendre leurs chevaux quand ils en trouvent des prix élevés, mais ils les pleurent en même temps, et pour eux-mêmes et pour l’utilité qu’ils en retiraient, comme le père pleure son fils lorsqu’il s’en sépare, bien qu’il reconnaisse l’utilité de cette séparation.

« Cheval ou jument, l’Arabe regrette donc le compagnon qu’il quitte, en proportion des services qu’il en recevait.

« Maintenant pourquoi, en pays arabe, cite-t-on plus souvent la jument du cheikh un tel que le cheval du cheikh un tel ? Voici. C’est tout simplement parce que les Arabes vendant habituellement leurs chevaux et conservant les jumens, il y a naturellement chez eux plus de jumens que de chevaux. Et si l’on conserve les jumens avec un grand soin, c’est pour ne pas voir se tarir une source précieuse d’honneurs et de richesses.

« Dieu, dans son Koran, a dit : « El kheïl kheir (les chevaux, c’est le bien). » Cette expression le bien signifie, pour les Arabes, l’ensemble de tout ce qui peut être utile à l’homme.

« Le prophète a ajouté : « Le bonheur, les récompenses éternelles et un riche butin sont noués au toupet de vos chevaux jusqu’au jour de la résurrection. »

« Voilà tout ce que j’avais à vous dire ; c’est, d’après moi, l’exacte vérité, mais Dieu est le plus savant.

« Que Dieu soit avec vous ! — Salut !

« Écrit par Sid et Hadj Abd-el-Kader ben Mahhy Eddine.

« Brousse, le 15 janvier 1855. »