Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/869

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

complies avec une rapidité, avec une fureur de logique qui n’a point servi à fortifier sa constitution politique et morale. Pour le moment, un des faits les plus considérables dans les conditions intérieures de la France est le changement qui vient d’avoir lieu dans le ministère, changement qui emprunte lui-même toute son importance des circonstances extérieures. Par une coïncidence singulière, il s’est trouvé qu’il sortait presque à la fois, à peu de jours de distance, du ministère des affaires étrangères, deux hommes qui avaient reçu à sa naissance cette terrible question d’Orient et l’avaient conduite jusqu’à ce moment — le ministre, M. Drouyn de Lhuys, et le directeur des affaires politiques, M. Thouvenel. Le premier s’est retiré, le second avait été nommé peu de jours auparavant ambassadeur à Constantinople, où l’appelaient et sa connaissance des complications actuelles et son talent. M. Drouyn de Lhuys a été remplacé par M. le comte Walewski, qui représentait depuis quelques années la France à Londres ; M. Thouvenel a pour successeur M. Armand Lefebvre, qui a été ministre à Berlin et qui était depuis conseiller d’état. Enfin c’est M. de Persigny qui va remplacer à Londres M. le comte Walewski. Ainsi s’est terminé ce mouvement diplomatique.

À travers les incidens qui se rattachent à la question dans laquelle la France est engagée, il y a cependant dans les conditions économiques actuelles du pays un fait qui ne laisse point d’avoir sa gravité et sa signification. Ce fait, c’est le renchérissement permanent ou plutôt croissant, surtout à Paris, de toutes les locations et de tous les objets d’alimentation. Se loger et se nourrir deviendra bientôt un luxe à la portée du petit nombre. Paris est sans doute la ville des splendeurs et des magnificences ; seulement l’essentiel de la vie tend à y devenir d’un accès difficile. À quelle cause peut-on attribuer celle élévation subite de toute chose ? Il est évident que l’esprit de spéculation y est pour beaucoup au moment où l’exposition universelle attire à Paris des flots incessans de visiteurs de tous les pays, ce qui fait que l’exposition pourrait bien être à la fois une occasion de fortune pour quelques spéculateurs et une occasion d’appauvrissement pour la masse de la population. Ce n’est point là sans doute son but. Quelque influence que puisse avoir accidentellement une exposition, il y aurait toutefois à observer s’il n’y a pas là un fait économique plus général, tenant à la situation du pays, à ses tendances, au caractère même que prend de plus en plus la civilisation. Tandis que les causes de dépenses augmentent à mesure que se développent les besoins matériels, la passion des jouissances, les goûts de luxe, — les revenus s’accroissent-ils dans la même proportion ? Et si cette proportion n’existe point, n’est-ce pas le signe de profondes perturbations morales et économiques à la fois ? Ce sont là certes de graves questions que tous les spectacles contemporains servent à faire naître.

Le monde est occupé aujourd’hui à résoudre bien des problèmes sous lesquels il semble plier par instans : problèmes de politique et d’économie sociale, problèmes d’organisation intérieure ou d’équilibre universel ; ils embrassent tous les côtes de la sociabilité humaine, s’étendent à tous les pays à travers la variété de leur histoire et de leurs mœurs, et se rattachent au grand problème qui les domine tous, celui de la destinée de notre temps. Le malheur de bien des esprits est d’entrer dans ce mouvement sans direc-