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et de faire le monde, il l’a donc pensé, et comme il a vu que cet ouvrage était bon, étant bon lui-même, il lui a donné l’existence et la vie.

Mais ici s’élève de nouveau, plus obscur et plus pressant que jamais, l’inévitable problème : d’où vient le mal ? car si Dieu, premier et unique principe de toutes choses, est par essence le bien, s’il n’entre en action que par bonté, si enfin il n’a créé l’univers qu’après l’avoir conçu comme digne de lui, c’est-à-dire comme bon, il semble impossible que le mal se rencontre en cette manifestation excellente d’un principe excellent.

El cependant, le mal est dans le monde. Ne pouvant y avoir été mis par le Créateur, il faut qu’il vienne de la créature. Or, si nous essayons d’embrasser du regard l’ensemble des êtres qui peuplent l’univers, nous voyons qu’au-dessous de l’homme toutes les natures sont invariablement bonnes, quoiqu’il des degrés différens. Les plus humbles de toutes, celles qui sont privées non-seulement d’intelligence, mais de sentiment et de vie, contribuent toutefois par leur grandeur et leur simplicité immobiles à la beauté de la création. D’autres, avec le don de l’existence, ont celui de l’activité. Elles sortent d’un germe, s’épanouissent, communiquent la vie sans le savoir et sans le sentir, comme elles l’ont reçue, et périssent pour renaître sous des formes nouvelles dans une évolution sans fin. À ces aspects si riches de l’existence, joignez un attribut plus admirable encore, le sentiment : voilà un nouvel ordre de natures qui s’élèvent par degrés du sentiment à l’intelligence, et, depuis le chétif vermisseau jusqu’au lion superbe, font paraître de plus en plus la puissance du Créateur. Mais où elle éclate enfin tout entière, c’est dans ces natures supérieures faites pour entrer en partage avec le Verbe divin de son attribut le plus essentiel, la raison. Ici encore le bien a été départi à des degrés inégaux : l’âme humaine est formée à l’image de Dieu ; mais l’étincelle de raison qui l’éclaire est emprisonnée dans des organes corporels. Il est d’autres natures où brille en traits plus purs encore l’image du Créateur : ce sont les anges. Affranchis de toute entrave du corps et des sens, bien qu’ils aient le pouvoir de se manifester sous des formes visibles, ces êtres supérieurs ne sont que lumière, beauté, intelligence, amour : il n’y a au-dessus d’eux que la perfection infinie et incommunicable de Dieu.

Telle est la hiérarchie magnifique dont l’univers nous présente le spectacle, et, tant que ces natures, si diversement bonnes, mais toujours bonnes dans leur espèce et à leur rang, garderont la pureté de leur origine, il est clair qu’on chercherait vainement en elles la première source du mal. Où est donc le mot de l’énigme ? le voici : la créature raisonnable, ange ou homme, a reçu de Dieu la liberté.

Comme les autres anges, Satan a été créé bon : il était donc à l’origine pur, innocent et heureux ; mais il était libre, et il est tombé. Chute irréparable, qui a préparé toutes les autres !

L’état naturel de la créature angélique, c’est d’être unie et comme attachée à Dieu, car quelle peut être la vie d’un être formé de raison et d’amour, sinon de contempler la vérité, la beauté, le bien, et de trouver dans cette contemplation une parfaite félicité ? Satan a goûté ce bonheur, et il pouvait en jouir toujours. Il le pouvait, il ne l’a pas voulu. Pourquoi cela ? C’est que Satan s’est regardé avec complaisance ; enivré de sa beauté, il s’est cru l’égal