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réalité véritable, Augustin voit s’évanouir toutes les chimères du manichéisme et du panthéisme, et tous les doutes qui l’avaient tourmenté. Dieu n’est plus pour lui je ne sais quel fluide, une sorte d’éther lumineux répandu dans l’espace, condamné à lutter contre un principe de ténèbres, et parvenant tout au plus à le resserrer dans l’enceinte d’un univers fini : Dieu est le principe spirituel, invisible, idéal de toute vérité, de toute justice, de toute beauté ; il est l’être des êtres, pénétrant et dépassant l’univers, non par une grandeur et une extension matérielles, mais comme cause interne, comme source éternelle de l’existence et de la vie. Or, cet être unique et universel étant essentiellement bon, étant le bien même, il ne peut y avoir de principe absolu du mal ; tout ce qui est tient de Dieu son essence, et par conséquent est bon. Le mal, dans les créatures dépourvues de raison et de volonté, ne peut être qu’une infériorité de nature, une imperfection toute négative, et même, dans les créatures libres, le mal, quoique plus réel, n’est encore qu’une défaillance de leur volonté s’écartant du bien véritable pour se laisser séduire à des biens inférieurs. Voilà donc le spectacle de la création qui se transforme au flambeau de l’idéalisme. Le désordre s’enfuit ; tout a sa place et son rang dans la variété harmonieuse de l’immense univers. Le mal ne vient pas de Dieu, mais de l’homme, et ce mal lui-même est racheté par un bien plus grand, la dignité de l’être moral, qui n’atteint que par l’épreuve et le repentir à toute la perfection de sa nature.

La raison d’Augustin se fixe et s’affermit. Trouvera-t-il le repos dans ces nobles doctrines du platonisme ? Non ; son âme est apaisée, elle n’est pas assouvie. La philosophie ne lui suffit pas ; la religion seule peut porter en lui une paix sans orage et une parfaite sérénité. D’où vient donc cette insuffisance de la philosophie spiritualiste ? Augustin va nous le dire : la philosophie éclaire la raison, mais elle n’agit qu’imparfaitement sur la volonté. Elle nous enseigne des vérités spéculatives, mais elle ne nous donne pas la force de les transformer en vérités pratiques. Elle nous dévoile, d’un côté, une âme spirituelle, libre, ardemment éprise de vertu, de perfection, de bonheur ; de l’autre, un Dieu qui est le Dieu véritable, puisqu’il est le principe de toute vérité, de toute sainteté, de toute félicité ; mais comment cette âme sublime et misérable atteindra-t-elle ce Dieu ? Voilà ce que la philosophie n’enseigne pas. Augustin fait ressortir avec une force et une profondeur de sentiment extraordinaires le vide immense que laisse au cœur de l’homme la meilleure philosophie, vide immense que la religion seule peut combler, et il nous livre sa pensée tout entière en ces fortes paroles : « Platon m’a fait connaître le vrai Dieu ; Jésus-Christ m’en a montré la voie. » Cette voie, c’est Jésus-Christ lui-même, l’Homme-Dicu, qui unit et réconcilie les deux natures que la chute volontaire de l’homme avait séparées.

Voilà l’idée qui a conquis Augustin au christianisme. Platon lui avait révélé le Logos, le Verbe divin ; mais que ce Verbe se soit fait chair et qu’il ait habité parmi nous, c’est ce que le christianisme seul a pu lui apprendre.

« Je cherchais, nous dit-il, par où je pourrais acquérir cette vigueur intérieure qui rend capable de jouir de vous. C’est à quoi je ne pouvais parvenir qu’en m’attachant à Jésus-Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, (1 Tim., II, 5) et Dieu lui-même, élevé au-dessus de toutes choses et béni dans