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et par sacrifice : il l’est par l’idée du travail, par l’accomplissement du devoir. Ce que vous ne pourriez obtenir de lui par dévouement, vous l’obtiendrez par justice. Trop individuel pour s’abandonner aux mouvemens spontanés du cœur, il obéira à la pression de la conscience. C’est en ce sens qu’il est religieux, et il l’est profondément. Tous les défauts que M. Mitchel reproche aux Anglais ne sont souvent que des qualités contraires aux qualités de sa nation.

Le journal de M. Milchel va du milieu de 1848 à la fin de 1853, c’est dire qu’il comprend toute la durée des derniers troubles européens. N’y cherchez pourtant aucun écho de ces révolutions, l’auteur n’en a rien vu, il en a su peu de chose, les événemens de ces cinq années n’ont pour lui aucun lien. Il ne connaît cette histoire si récente que par fragmens. Il était alors bien loin de l’Europe, sur les rivages inhospitaliers des Bermudes, en face du cap de Bonne-Espérance, sur la terre de Van-Diémen. Il a été l’une des premières victimes de la révolution de février. Dès le mois de mai 1848, il avait cessé de compter parmi les acteurs du drame politique européen, et il n’eut même pas le temps de voir la déplorable issue de l’insurrection de Tipperary. Quel était donc son crime ?

M. Mitchel, avons-nous dit, n’a pas d’opinions politiques bien arrêtées. Ses opinions sont des sentimens, des instincts, et ne pouvaient être autre chose ; elles ont été le résultat non d’une contemplation calme et raisonnée des affaires irlandaises, mais de l’impression que certains faits, à savoir la semi-défection d’O’Connell et la famine, ont produite sur son organisation. M. John Mitchel est entré dans la vie politique au moment où l’agitation o’connellite et légale était épuisée. Il a vu les derniers et pitoyables mouvemens du vieux lion mourant ; il a entendu les derniers accens de cette voix affaiblie. Témoins des derniers actes du tribun, dont les prédilections aristocratiques et catholiques s’accusaient de plus en plus à mesure qu’il avançait en âge, M. Mitchel et les fougueux jeunes gens qui quelques années plus tard devaient accomplir cette agitation stérile et funeste de 1848, rompirent avec la tradition d’agitation légale créée par O’Connell. O’Connell mourant en Italie avait recommandé que son corps fut envoyé non pas en Irlande, mais à Rome ; le parti qui allait lui succéder rompit avec Rome. O’Connell avait recommandé l’agitation légale, le parti de la Jeune-Irlande recommanda la résistance à main armée. O’Connell avait passé sa vie à demander constitutionnellement le rappel, la Jeune-Irlande recommanda ouvertement et brutalement la séparation. Les hommes qui composaient ce parti se proclamèrent franchement traîtres à l’Angleterre et refusèrent de reconnaître ses lois. Rien ne resta de l’œuvre d’O’Connell ;