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duc d’Orléans n’était pas entouré de l’auréole qui brillait au front du prince de Condé ; mais sa qualité d’oncle du roi et son titre de lieutenant-général du royaume lui assuraient la première position de France après la reine-mère. Ce prince était moins exigeant pour lui-même que pour les favoris qui faisaient vaciller au gré de leurs intérêts ses volontés et ses pensées. L’un des plus vulgaires d’entre ceux-ci avait entrepris de se faire décerner la pourpre, et selon son usage, Monsieur avait fait de cette affaire la sienne. Placé dans l’alternative d’égaler à lui un plat valet ou d’irriter son royal maître, Mazarin avait, selon son invariable coutume, détourné le péril le plus prochain sans se préoccuper des embarras à venir. L’abbé de Larivière avait reçu la promesse du premier chapeau à la nomination de la France. Mais voici qu’un jour le prince de Condé, estimant son frère cadet trop chétif et trop mal fait pour engendrer lignée, imagine de demander le chapeau pour le jeune prince de Conti, de ce ton qui n’admettait pas de refus. Grande fut l’angoisse du ministre, placé entre la crainte de s’aliéner l’oncle du roi et celle de voir fondre sur lui l’impétueuse colère de Condé au moment même où la crise parlementaire se développait dans toute sa violence. Comme de raison, il courut au plus pressé et s’engagea avec le plus fort. Le prince de Conti reçut une promesse de nomination, que les événemens eurent bientôt annulée, et l’on finança avec Larivière ; mais la blessure demeura profonde au cœur de Monsieur, et Mazarin dut entrevoir dès ce jour-là tous les obstacles que les rivalités princières allaient élever devant lui.

Quoique le ministre exerçât déjà depuis cinq années une puissance absolue, il avait donc grossi partout les difficultés, et il n’en avait triomphé nulle part. La lutte qu’il prétendait détourner par la guerre s’engagea simultanément à la cour, dans les parlemens et dans les armées, et l’on verra que si le cardinal parvint enfin à conserver le champ de bataille, il le dut bien moins à ses propres efforts qu’aux fautes de ses ennemis, au décousu de leurs plans et au cynique égoïsme de leurs prétentions.


LOUIS DE CARNE.