Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/981

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusque sur la côte de la Gaule, témoin la ville de Marseille. La migration des Pelages ne suffit pas pour expliquer la ressemblance de la religion latine et de la mythologie grecque, surtout quant aux points où celle-ci différait de ce qu’on peut entrevoir des anciens cultes pélasgiques[1].

Un second âge des relations de l’Italie et de la Grèce tombe dans des temps plus historiques, bien que mêlé encore à beaucoup de légendes. L’oracle de Delphes apparaît plusieurs fois dans l’histoire des premiers siècles de Rome. Aruns et Brutus vont consulter la pythie de la part du dernier des Tarquins. Les Romains envoyèrent, disent les historiens, une députation en Grèce chercher les lois de Solon : ce fut la source de la loi des douze tables et l’origine du droit romain. Il est vrai que cette origine a été contestée par Gibbon et par bien d’autres, et que le droit romain était assez différent du droit hellénique. Pour ma part, je ne suis pas sûr que les institutions attribuées à Solon formassent un corps de législation écrite qu’on pût transporter à Rome, et la mission des envoyés romains me fait penser involontairement à cette lettre adressée par un membre de l’assemblée législative de 91 au conservateur de la Bibliothèque nationale. Rempli, comme on l’était volontiers alors, d’une admiration pour l’antiquité que la science n’accompagnait pas au même degré, le législateur demandait qu’on lui envoyât en toute hâte les lois de Minos et de Lycurgue, dont il avait besoin pour rédiger la constitution française. On voit, pendant le siège de Veies, le sénat faire consulter l’oracle de Delphes, auquel les Romains semblent reconnaître une certaine autorité religieuse, et avec lequel ils sont dans un rapport de dévotion et de respect, comme l’étaient vis-à-vis du siège apostolique tous les peuples de l’Europe au moyen âge. Enfin, et ceci ne saurait faire l’objet du doute le plus léger, avant la fin du Ve siècle, les Romains envoyèrent interroger à Épidaure l’oracle d’Esculape pour faire cesser une peste qui désolait la ville. Les envoyés rapportèrent dans leur vaisseau Esculape lui-même sous la forme d’un serpent. L’île du Tibre où le serpent se réfugia, taillée en forme de navire pour figurer celui qui avait ramené le dieu, est encore là, présentant à l’une de ses extrémités l’image d’une proue

  1. Pour expliquer ces ressemblances, certains savans italiens ont imaginé un système dans lequel le patriotisme tient plus de place que la vraisemblance. Selon eux, ce ne seraient pas les Grecs qui seraient venus en Italie, mais les Italiens qui seraient allés porter leur mythologie et leur civilisation, non-seulement en Grèce, mais en Phénicie et en Égypte. Cela rappelle un peu le rêve du docte Suédois Olaüs Rudbeck, qui, frappé des rapports qui existent véritablement entre diverses langues de l’Asie et les langues germaniques, au lieu de faire venir les Germains de l’Orient, faisait venir les indiens et les Persans du nord de l’Europe, et plaçait le paradis terrestre aux environs de Stockholm.