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présente un danger que n’atténuent pas suffisamment les considérations d’ordre et de justice qui y donnent lieu. En général le sang appelle le sang, et la vue de celui qui est versé sur l’échafaud n’a pas la vertu d’arrêter le faible ou le pervers sur la pente du crime, puisqu’au dire des prêtres qui recueillent les paroles suprêmes des condamnés, la plupart de ceux-ci ont assisté à des exécutions motivées par des causes semblables. » À ce compte, la peine capitale serait inefficace, ou peu s’en faut ; mais M. Bérenger va plus loin : « Il est reconnu, ajoute-t-il, que dans les pays où la peine de mort a été soit abolie, soit très rarement infligée, les mœurs des peuples sont devenues plus douces et les crimes capitaux extrêmement rares, et ce qui est hors de contestation, c’est l’action qu’exerce sur un peuple la mansuétude de ses lois. »

Si tout cela est vrai, si la vue de l’échafaud pousse au crime plutôt qu’elle n’en détourne, sous quel prétexte laisser devant les yeux de la multitude un spectacle odieusement provocateur, et comment hésite-t-on un seul instant à réclamer l’abolition de la peine de mort ? — Par malheur, les faits allégués par M. Bérenger ne sont, ou nous nous abusons beaucoup, ni assez avérés, ni assez complets pour autoriser les conséquences qu’il en tire.

Que dans une situation où les opinions sur la peine de mort ne sauraient être impartiales, des assassins déclarent que le souvenir d’exécutions auxquelles ils ont assisté n’a point retenu leur bras, qu’importe ? Ce peut être une raison de douter que la publicité des supplices atteigne son but, mais il y a loin de là à croire que la perspective du châtiment attire personne : si cette perspective apparaît au moment de la perpétration du crime, elle est certainement écartée par l’espoir de s’y soustraire. Pour apprécier l’empire de l’exemple, ce n’est point la conscience des coupables qu’il faut interroger, mais celle des individus dont une intimidation salutaire a pu comprimer la perversité. Qui pourrait affirmer d’ailleurs que la législation sauve par là moins de victimes que n’en fait le spectacle d’une rigueur méritée, et qui oserait accepter la responsabilité du renversement du rapport entre leurs nombres respectifs ? On conçoit aisément que dans un pays bien ordonné, où la justice est équitablement rendue, la rareté des exécutions accompagne celle des crimes ; mais elle en est la conséquence et non la cause, et cette succession logique des faits veut être ici maintenue.

M. Bérenger appuie la théorie professée avant lui par la philanthropie inexpérimentée du XVIIIe siècle sur l’exemple célèbre qui fut donné dans le code léopoldin. La peine de mort fut abolie en Toscane le 30 novembre 1786 par le grand-duc Léopold Ier. On publia partout alors que l’adoucissement des mœurs produit dans cette heureuse contrée par la suppression de l’aspect des supplices en