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succession de rois offerte par la chambre de Karnak. Celle-ci nous présente, à quatre reprises différentes, Toutmès III faisant des offrandes à des rois qui sont disposés en quatre séries, rangées en huit lignes et marchant en deux directions contraires. Il faut, dans ce labyrinthe chronologique, un fil conducteur bien assuré, et comme les noms s’éloignent assez de ceux que nous donne Manéthon, dont le grec estropie singulièrement les formes égyptiennes, comme dans les fragmens de celui-ci il y a évidemment des rois de supprimés, la concordance devient des plus malaisées à établir. De même l’étude attentive de la table d’Abydos a montré qu’il existait des lacunes considérables entre certains rois : les reines de la dix-huitième dynastie ont été omises; il y a des désaccords manifestes avec Manéthon quant à l’ordre des monarques de la dix-huitième dynastie.

Qu’on mette en regard de ces difficultés celles qui s’attachent déjà aux chiffres de Manéthon, altérés par de mauvaises leçons ou systématiquement corrigés par Eusèbe et l’Africain, préoccupés du désir de mettre la chronologie de Manéthon d’accord avec celle qu’ils croyaient trouver dans la Bible, et l’on reconnaîtra combien d’obstacles s’opposent encore à la reconstruction des listes royales et à la supputation de leur durée. Les monumens mêmes ne parlent jamais assez clairement pour nous dire si le monarque ne compte pas dans la date de son règne les années durant lesquelles il était de son droit de régner, mais qui ont été marquées par l’autorité d’un usurpateur, qui, lui aussi, a son cartouche et sa date dans les inscriptions. Ils n’indiquent le plus ordinairement ni les régences, ni les associations à l’empire, prises souvent pour autant de règnes distincts; en un mot, ils ne fournissent aucun de ces gouvernemens simultanés, de ces dynasties peut-être contemporaines auxquelles il n’est pas impossible que Manéthon ait attribué une existence successive dans sa chronologie. Sans doute cet hiérogrammate de la cour des Ptolémées avait à sa disposition des annales historiques, des tables royales analogues à celles dont le papyrus de Turin nous a conservé des fragmens; mais que d’erreurs n’a-t-il pas pu commettre lui-même, surtout pour les époques anciennes! Sans doute les découvertes qui ont été faites depuis Champollion sont généralement à l’honneur de son exactitude et de sa véracité; mais quand il y a des désaccords entre les monumens et Manéthon, faut-il accuser son ignorance ou la nôtre, et admettre que nous tirons de la lecture d’une inscription des conséquences trop absolues?

On le voit, quand même ces obscurités s’éclairciraient devant la comparaison patiente et le rapprochement multiplié des inscriptions et des papyrus, elles ne se dissiperaient jamais assez pour que les dates absolues des principaux événemens de l’histoire de l’Egypte antique pussent être assignées avec quelque précision. Les incertitudes chronologiques ne sauraient être levées que par ce qu’on appelle des synchronismes. Il faut trouver les événemens d’une date connue qui correspondent à quelques-uns de ces règnes aujourd’hui flottant entre plusieurs couples de siècles. Ce sont des jalons qui échelonneront alors les dynasties dans cet océan des âges où tout point de repère fait défaut. Le plus ancien synchronisme certain que nous possédions se rapporte à la vingt-deuxième dynastie, dans laquelle un roi du nom de Scheschonk est reconnu pour le Scheschak de l’Écriture, prince qui