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ciel brûlant les teintes sont bien plus tranchées, et que la peau du fellah ne reflète pas les tons fondus du coloris européen. Le sable a merveilleusement conservé ces figures, dont la plupart sont en calcaire (deux seules sont en granité). Que l’on songe qu’elles sont restées ensevelies pendant cinq ou six mille ans. Cet art est loin cependant de celui des Grecs ; c’est un art tout réaliste, qui s’attache à produire la vérité de la vie, mais auquel l’idéal est absolument inconnu.

Sur les bords de la Mer-Rouge, non loin du Sinaï, à Ouadi-Magara, où les pharaons faisaient exploiter des mines de cuivre, on retrouve aussi des traces de ces anciennes dynasties. Là se lisent les cartouches de Choufou et de Snéfrou, et un bas-relief curieux représente la victoire du premier de ces pharaons sur un peuple actuellement ignoré, les Pennou, dont la chevelure touffue et la barbe en pointe indiquent l’origine asiatique.

Un autre monument de cette époque que le Louvre doit encore au voyage de M. Mariette, le bas-relief du roi Manchéor, par la beauté et la franchise de son exécution, nous prouve que l’art se maintint à la même hauteur pendant tout le cours de la cinquième dynastie. Sous la dynastie suivante, il déchut quelque peu, si l’on en juge du moins par le style des hiéroglyphes. Cette dynastie se termina par la reine Nitocris, dont M. de Rougé a reconnu le nom sur le papyrus royal de Turin. Nitocris a été surnommée par les Égyptiens la belle aux joues roses, et d’après Manéthon, c’est elle qui fit élever la pyramide de Mycérinus, ou, pour mieux dire, qui s’empara du tombeau de ce pharaon, et plaça son propre sarcophage dans la salle qui précédait le caveau royal. Ce fut encore par les ordres de cette reine qu’on établit le revêtement en granite rose qui enveloppait la troisième pyramide, et dont la magnificence excitait cinq mille ans plus tard l’admiration de l’historien Abdallatif.

Les sarcophages des Entef, pharaons de la onzième dynastie, sont d’autres spécimens de l’art de l’ancien empire que l’Europe peut aujourd’hui contempler et juger. Le premier de ces monumens appartient au British Museum, et les deux autres viennent d’être apportés au Louvre par M. Mariette. C’est à la douzième dynastie que l’art, comme la civilisation, paraît avoir atteint en Égypte son plus haut point de développement et de puissance. Quelque temps après s’être élevé à ce degré de force et de prospérité, l’empire égyptien s’écroule devant les invasions répétées des pasteurs. Ainsi, dès la plus haute antiquité, s’offre à nous le spectacle de décadences terribles succédant à de courtes périodes de gloire et de splendeur. Ce qui arriva pour l’Assyrie, la Grèce, Rome, était arrivé plusieurs siècles auparavant pour l’Égypte. Le progrès continu, auquel tant de gens paraissent croire, ne s’accommode guère de pareils témoignages historiques. En sera-t-il de même pour notre civilisation moderne ? Et malgré nos bateaux à vapeur, nos chemins de fer, nos télégraphes électriques, malgré la poudre à canon et l’imprimerie, demeurons-nous encore exposés à de si désastreux retours et à de si soudaines catastrophes ? La décadence qui frappe aujourd’hui l’Inde et la Chine peut-elle nous atteindre, et devons-nous dire au contraire, comme Horace :