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dans cette matière qu’à l’homme, regardé par les naturalistes comme un primate tout à fait supérieur. Pour moi, en regardant ces singuliers animaux à qui la science a su conserver après leur mort une apparence de vie, je ne les trouvais pas si grimaciers qu’on se plaît à le dire : partout dans la vie, je retrouve la même comédie sur les figures humaines. Nos grimaces sont peut-être un peu plus variées que celles des singes, mais au fond elles se valent. Les uns font des grimaces pour demander de l’argent ou des places, les autres pour obtenir des noix ou des pommes ; il n’y a guère de différence.

Ce qui me frappa le plus fut un squelette articulé, placé près du fauteuil du professeur, et qui, les bras en avant, les mains ouvertes du côté du spectateur, ricanait vraiment à l’unisson des primates. Il avait dépouillé toute pudeur humaine, il se moquait de la société et ne cherchait plus à dissimuler ses instincts. Par la façon dont il était posé, par ses gestes, par sa bouche entr’ouverte, le squelette semblait parler. « Messieurs, me voici sans fard, aucuns voiles ne dissimulent ma triste carcasse ; tout ce qui était chair, sang, nerf et muscles, et qui troublait le faible entendement de la science alors que j’étais vivant, a disparu ; regardez-moi bien, tâtez mes bosses à votre aise, je n’ai plus de secret pour personne. » Le squelette avait aimé peut-être le vin, sans doute les femmes, et certainement l’argent ; à cette heure, il semblait se moquer de toutes ces futilités, et une raillerie éternelle sortait de sa bouche. Il m’intéressait vivement, et j’aurais regardé longtemps sa raillerie, si le professeur ne fût entré en séance. C’était un petit homme portant de bonnes couleurs sur les joues, qui me plut tout d’abord par ses façons simples et modestes. Il nous salua très poliment et rangea divers singes sur son bureau ; il apportait dans ce travail une grande attention, groupait habilement les primates ricaneurs, et je compris tout d’abord qu’il portait une réelle affection aux sujets dont il avait à nous entretenir. Pendant ce temps, les encriers s’ouvraient dans l’auditoire, quelques cahiers blancs sortaient des habits, mais la majorité des étudians gardaient les mains dans les poches. C’était, il faut le dire, une majorité composée d’étudians de cinquante à soixante ans, qui dépassaient les limites accordées aux fameux étudians de quinzième année. Généralement, ces étudians portaient une mauvaise perruque et des habits qui ne valaient guère mieux que la perruque. Je ne connus la vérité que beaucoup plus tard.

Au milieu de la salle est un gros poêle que l’administration du Jardin des Plantes bourre assez pour le faire ronfler énergiquement, de telle sorte que chacun des auditeurs puisse se livrer au genre de mélodies qui lui est particulier pendant son sommeil ; le poêle seul est accusé de ronflemens qui, partis de poitrines humaines, feraient