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rougir de honte le professeur. Ces nombreux étudians en perruque venaient pour le poêle et non pas pour l’histoire naturelle.

Les cours sont organisés au Muséum de façon à ce qu’un professeur succède à un autre professeur : l’anthropologie succède à la minéralogie, la géologie à l’ichtyologie, la conchyliologie à la zoophytologie, et ainsi de suite. Il est facile, de onze heures du matin à trois heures de l’après-midi, de se procurer, au Jardin des Plantes, une chaleur convenable pendant les plus grands froids : c’est ce que savent ceux que j’avais pris pour de vieux étudians en perruque, qui n’étaient autres que des petits rentiers de la rue Copeau, gens remplis d’ordre et d’économie, dépensant de six à huit cents francs par an dans les fameuses pensions bourgeoises groupées autour de l’hôpital de la Pitié, rue Gracieuse, rue de la Clef, rue Copeau et autres.

Tous les matins, après le déjeuner, on voit se diriger dans la direction du Jardin des Plantes une bonne quantité de ces petits rentiers en perruque, traînant leurs gouttes, leurs rhumatismes, leurs catharres aux cours d’hiver : ils arrivent les premiers afin d’avoir la meilleure place au poêle, et s’endorment dans un sommeil plein de béatitude aussitôt que le professeur ouvre la bouche. Si on excepte quelques étudians, quelques spécialistes, quelques amis du professeur, quelques sous-maîtresses d’institutions, la majeure partie du cours est ainsi remplie d’oreilles inutiles. Les professeurs du Muséum sont remplis d’égards pour les petits rentiers, car ils forment nombre et savent se réveiller à temps pour applaudir la sortie du naturaliste. Aussi je fus singulièrement désappointé en entendant les premières leçons consacrées à l’historique du Jardin des Plantes; cinq cours se passèrent ainsi à résumer les tentatives successives faites en histoire naturelle depuis le commencement du monde. C’était un manuel aride, assez semblable à ceux qu’apprennent par cœur les aspirans au baccalauréat. Vint plus tard la comparaison des systèmes, qui se réduisait surtout à des nomenclatures barbares, et il me parut que, sauf quelques rares génies, les naturalistes s’attachaient plutôt à la lettre qu’au fond des choses. La science consistait à changer tous les cinquante ans les nomenclatures admises et à remplacer des mots barbares par d’autres mots plus barbares encore. Je n’étais pas venu dans cette intention ; aussi commençais-je à désespérer d’acquérir ces fameuses connaissances dont je m’étais fait fête, et auxquelles j’avais préparé une si large case dans mon cerveau.

Le professeur de mammalogie avait hérité de la chaire de son oncle, et il ne manquait jamais d’ouvrir sa leçon par ces mots consacrés : « Messieurs, mon oncle a dit avec cette autorité, etc. » Les singes qu’il mettait en scène avaient été découverts du vivant de