Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1091

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Jardin des Plantes ; mais il n’y avait guère qu’une demi-douzaine de femmes au cours, dont cinq n’étaient ni jeunes ni jolies. C’eût été un hommage trop direct à la jeune fille qui venait d’entrer que de parler tout à fait français.

Tout en suivant les mouvemens agiles du gibbon en deuil, que le professeur présentait sous toutes ses faces, auquel il prenait la patte et qu’il flattait en le grattant sous le cou (l’hylohates fureneus provenant de la succession de l’oncle), je n’en remarquai pas moins l’impression produite par son terrible nom scientifique sur la figure des dames nouvellement arrivées. — Voyons, pensais-je, comment elles supporteront les singes en latin. — Elles ne me parurent pas trop effrayées du nom de l’animal, la jeune fille même souriait en regardant le singe noir, qui avait à lui tout seul la mine d’un enterrement exaspéré, car il grinçait des dents. Le tamarin aux mains rousses (midas rufimanus) lui succéda : on eût dit un singe qui avait trempé ses pattes dans un pot de confitures et qui en conservait une mine pleine de joie. Autant son frère le croque-mort rugissait dans ses habits de deuil, autant celui-ci était gai comme un polisson qui a laissé tomber son pain dans un tonneau de mélasse, à la porte d’un épicier. Mes idées précédentes furent un peu bouleversées. — Non, le singe n’est pas ton frère, me disais-je en sortant. — Ce nouveau raisonnement venait de la comparaison entre la jeune fille et les singes. Un rayon de soleil semblait être entré dans le cours avec la jeune fille : elle illuminait tout d’un coup par sa présence toutes ces armoires vitrées remplies de primates. Combien maintenant les singes me semblaient loin de notre race en pensant au profil si fin de la jeune fille, à ses narines roses, à chacun de ses mouvemens gracieux, qui me faisaient paraître plus brutales encore les saccades des singes ! Les rentiers de la rue Copeau, avec leurs perruques, ressemblent volontiers au sajou à toupet, à l’ouistiti à pinceaux noirs ; mais les bandeaux de la jeune fille si lisses dans lesquels se joue la lumière ! mais ce duvet délicat des joues qu’on aperçoit grâce au jour de l’embrasure de la fenêtre ! Je commençai à mépriser les singes. Ainsi va la raison humaine : toujours vacillante. La contradiction entre les actions de la veille et du lendemain pousse aussi facilement que les chardons dans un terrain non cultivé. Mon enthousiasme pour les singes s’était éteint subitement comme ces belles fusées de feu d’artifice que l’enfant admire tant qu’elles brillent, et qu’il oublie une seconde après qu’une nouvelle fusée est venue la remplacer. Hier je ne pensais qu’aux singes, aujourd’hui je songe seulement à la jeune fille.

Le cours avait lieu deux fois la semaine, le mardi et le samedi. Je passai trois jours pleins d’inquiétudes provoquées par les