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les tient, toucher un mot de la vive affection qu’on porte à la jeune demoiselle, témoigner des sentimens honnêtes et purs, reconduire les dames jusque chez elles, demander la faveur d’être reçu dans la maison!... Pour conclusion, j’entrevoyais un notaire rédigeant un contrat et tenant une grosse plume : — Veuillez prendre la peine designer, monsieur... A votre tour, mademoiselle.

Oui, dans le lointain apparaissait un notaire à lunettes d’or, qui dénouait cette fantaisie. Pauvre Josquin ! pensais-je; pourquoi faut-il que la civilisation n’ait pas d’autre honnête moyen que celui du vaudeville : le mariage? Une voix me souffla : la demoiselle s’est éprise bien vite, elle a lancé des regards bien légers dès la première fois; est-elle digne véritablement d’une union que rien ne saurait casser? Que représentais-tu à ce cours? — Un étudiant. — Un étudiant ne se marie pas. Une jeune fille qui envoie pendant deux mois des regards à un étudiant est une jeune fille trop avancée. Pense à ta liberté, Josquin, à ton indépendance; prends garde à la grande plume du notaire!

Un mois après, j’en étais encore à ces réflexions, que je faisais entouré de tisanes et de drogues. La mort s’était assise auprès de mon lit, attendant sa proie, et m’avait trouvé sans doute trop misérable pour m’emporter. Je ne me doutais pas quelle vilaine garde-malade était restée un si long temps auprès de moi; j’ignorais les violentes secousses par lesquelles j’avais passé : pendant trente jours je n’eus aucune conscience des tentatives que la mort se permettait vis-à-vis de moi. N’est-ce que cela la mort? Si elle agit toujours ainsi aux derniers momens, elle est peu à craindre, et il a fallu des esprits craintifs bien attachés à la vie pour la symboliser d’une manière si lugubre. Bien des fois ceux qui ont pu m’observer pendant le sommeil m’ont dit les violens soubresauts qui m’agitaient, les singulières paroles qui s’échappaient la nuit de ma bouche: au réveil, je ne me souvenais pas de mes agitations et de mes monologues nocturnes. Il en était de même de la mort : pour ceux qui m’entouraient, j’avais souffert énormément trente jours durant, mais je n’en avais pas conscience. Souffrir sans le savoir n’est pas souffrir. J’en veux à la mort de n’avoir pas parachevé sa besogne, en supposant toujours qu’elle y mît la même discrétion, car elle reviendra un jour ou l’autre, que ce soit demain ou plus tard, peu importe, et elle ne se montrera pas toujours aussi réservée. N’est-ce que cela la mort? Parole imprudente peut-être! Au début de la jeunesse, je me rappelle avoir dit aussi : N’est-ce que cela l’amour? Hélas! peu après je sentis cruellement la place que cette misère tenait dans la vie, les tourmens et les félicités qu’elle traîne après soi. Et,