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maison qui semble moisie, et dont presque toutes les fenêtres sont grillées. — N’est-ce pas le numéro 24 ? me dit-elle. — Oui. — C’est un couvent. — Un couvent! m’écriai-je. — Qu’y a-t-il d’étonnant, monsieur? — Vous vous trompez certainement. — Pardon, monsieur, le numéro 24 est un couvent. Du reste, je le saurai plus positivement demain. — N’y manquez pas, je vous prie.

Ainsi se trouvait expliquée la sombre physionomie de la maison, mais je ne comprenais pas qu’on pût sortir d’un couvent : ce hasard fit que je manquai à la parole que je m’étais donnée de ne devoir de renseignemens qu’à l’induction. Petit à petit, je voulais deviner la position des dames, leur genre de vie, leurs habitudes, leur profession, la parenté qui les liait; j’avais déjà bâti bien des romans sur ce sujet, mais j’étais loin de songer que les grilles des fenêtres cachaient un couvent; il fallut l’accident de ma maladie pour m’amener à ce résultat. Comment admettre cependant la règle sévère d’un couvent avec les sorties fréquentes des dames? Par moment je croyais que je rêvais ou que je retombais sous l’empire de la maladie; mais la nuit suivante la garde éclaircit la question : « C’est un couvent, me dit-elle, je ne me trompais pas, dans lequel logent des dames pensionnaires. » Je commençai à voir plus clair : presque tous les couvens à Paris tirent parti de vastes bâtimens abandonnés en louant à des dames pieuses des appartemens d’autant plus recherchés, qu’ils offrent une retraite tranquille, un voisinage en dehors d’une société active : ce sont des dames à demi repentantes qui s’abritent sous la réputation de la maison. La demoiselle était pourtant bien peu repentante ! Il y eut dans cette nouvelle de quoi me remplir l’esprit pendant ma convalescence. Mon affection sortait des affections parisiennes ordinaires; tout lui donnait un caractère singulier : la science, la retraite, les singes, les religieuses. L’idée du couvent me trottait par la tête et activait ma passion — Vous pouvez sortir au premier soleil, m’avait dit le médecin. Malheureusement l’hiver était d’une dureté inaccoutumée : le ciel noir formait une calotte neigeuse si opaque, qu’on ne pouvait supposer la présence du soleil derrière; la neige tombait par gros flocons, et la clarté ne se faisait pas davantage au ciel. Je commençai à faire quelques tours dans ma chambre, et je ne pensais qu’au soleil, je ne parlais que du soleil, à tout le monde je demandais des nouvelles du soleil; je me serais converti certainement à la religion du soleil, si j’avais cru pouvoir en hâter les rayons. Les semeurs de récoltes ne manifestent pas plus d’inquiétudes en interrogeant le ciel que je n’en avais, appuyé contre la fenêtre, faisant fondre de mon haleine les dessins cristallisés que le froid traçait sur les vitres.

Enfin le 28 février le soleil daigna se montrer. Il était bien pâle.