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mais je le regardai avec un attendrissement qui ressemblait à de la passion. Le lendemain 1er mars, le professeur faisait son cours au Jardin des Plantes. J’allais donc la revoir! Plein d’émotion, j’écrivis la troisième lettre, qui devait décider de l’avenir.

« J’ai cru, mademoiselle, que je ne vous reverrais jamais, sauf dans l’autre monde, où j’ai failli aller faire un petit voyage. Pendant quinze jours, j’ai flotté entre la vie et la mort; pendant une autre quinzaine, une seconde maladie est survenue; enfin le dernier mois a. servi à ma convalescence, et me voilà au cours, à ce cours qui a été mon seul rêve pendant ma maladie : car je n’ai eu qu’une idée fixe, celle de vous revoir encore ! En pressentant combien ma maladie serait longue, je me disais : « Le cours finit en mars, il faut que je sois debout le 1er mars, afin de la revoir. » Et je maudissais la neige, la gelée, le dégel, l’humidité, qui me retenaient dans mon lit et m’empêchaient de reprendre des forces.

« Enfin depuis trois jours je marche, je peux me tenir debout, et c’est à vous que je dois ces forces si désirées. Bien certainement votre souvenir, qui ne m’a jamais quitté, et la volonté que j’avais de vous revoir ont aidé à la guérison au moins autant que la nature et beaucoup plus que les médecins.

« Quelquefois il me prenait l’idée d’envoyer un ami dévoué qui vous accosterait au cours, vous et vos parentes, et qui vous dirait : « On se meurt, on veut vous voir. » Mais vous seriez-vous souvenue de cet on sans nom qui prenait tant de plaisir à vous regarder, qui vous écrivait et à qui vous n’avez pas voulu répondre?

« Je sais bien, mademoiselle, que l’éducation moderne des femmes ne leur permet pas de se compromettre par des écritures; mais ayant l’habitude d’aller droitement dans mes affections, de ne pas les cacher et de m’en faire honneur, je ne pense pas qu’une jeune fille n’est pas élevée comme moi, et que ce qui me parait si simple à demander est impossible.

« Si je vous demandais une réponse par lettre, c’est que ma malheureuse timidité m’empêchait de vous aborder, vous, mademoiselle, et les dames qui vous accompagnaient. Aller à vous en sortant du cours n’est rien; mais si l’émotion arrête la voix dans mon gosier? si je tremble? si je suis ému au point d’être obligé de m’asseoir? quelle situation dans un jardin public!

« Cependant, mademoiselle, j’essaierai de vaincre cette timidité. A la sortie du prochain cours, mardi, je me présenterai à vous, si vous le permettez, et je ne vous demande qu’une faveur : c’est, dans les cinq premières minutes, de vous tenir un peu en arrière des deux dames, vos amies ou vos parentes. Est-ce trop demander?

Mais vous reverrai-je ? n’est-il rien survenu pendant ces deux