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objets. Et puis, en regardant ses tableaux, il faut se rappeler ce que disait Rembrandt à ceux qui voulaient regarder ses œuvres de trop près : « La peinture n’est pas faite pour être flairée. » Qu’importe en effet que Decamps ait empâté plus d’une toile outre mesure ? La question est de savoir s’il a obtenu l’effet qu’il voulait ou s’il s’est trompé dans ses prévisions. Or je ne crois pas que son espérance ait été souvent déçue. Qu’il nous représente le Christ enfant au milieu des docteurs ou bien un Vieux berger par un temps d’orage, il calcule ses procédés selon l’impression qu’il veut produire, et nous aurions mauvaise grâce à le chicaner sur la route qu’il a suivie, puisqu’il a touché le but.

C’est pourquoi je pense que ses œuvres tiendront une, grande place dans l’histoire de l’art français. Je ne crois pas qu’il se soit jamais inquiété des théories qui se discutaient autour de lui. Les idées générales ne sont guère de son goût, il se moque volontiers de ceux qui s’en nourrissent et les appelle mangeurs de viande creuse. Il ne faut voir dans cette ironie que l’exagération d’une pensée vraie. Les théories les plus savantes, étayées des plus solides argumens, ne servent pas à grand’chose lorsqu’il s’agit de faire un tableau. L’étude du modèle vivant, le commerce intime des grands maîtres sont d’un plus grand secours que les livres. Cependant la connaissance technique de la peinture ne dispense pas de l’exercice de l’intelligence, et Decamps lui-même, qui dédaigne à bon droit les peintres parleurs qui veulent expliquer leurs œuvres, ne serait pas arrivé à la renommée, s’il n’eût construit à son usage des idées générales qui ont servi de règle à sa conduite. Il se moque des théories, et s’il n’eût pas été théoricien à son insu, s’il n’eût pas arrangé dans sa tête un ensemble d’idées dont il ne s’est jamais écarté, il ne serait pas aujourd’hui ce qu’il est. Praticien consommé, il a prouvé plus d’une fois qu’il ne s’en tient pas à la partie matérielle de son métier. Quand il a choisi Rembrandt pour maître et pour guide en quittant l’atelier de M. Abel de Pujol, bon gré, ma ! gré, il a bien fallu qu’il se fît une théorie.

Le public, je dois le reconnaître, continue à prendre M. Couture pour un peintre de premier ordre. On rencontre au palais des Beaux-Arts des hommes de très bonne foi, et qui se donnent pour sérieux, parlant à haute voix de l’école de M. Couture. Les amis de M. Couture et ses élèves, qui sont, hélas ! nombreux, ont accrédité dans la foule une idée singulière et dont je suis pourtant obligé de tenir compte, ne fût-ce que pour constater la dépravation du goût public. C’est à lui que commence l’école française ; avant lui, tout était confusion et chaos ; c’est lui qui a, débrouillé les élémens et enseigné à notre pays l’intelligence et l’expression de la beauté ! J’éprouve quelque répugnance à répéter de tels enfantillages, et cependant,