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si je les omettais, je manquerais à mon devoir d’historien. Quand de tels symptômes se produisent, quand le trouble intellectuel se révèle par de tels signes, il faut les enregistrer. C’est à ce prix seulement qu’on peut suivre les déviations et les défaillances du bon sens. Est-ce à dire que M. Couture soit un Lomme sans talent? Ce serait aller trop loin et compromettre la cause de la vérité en la défendant à outrance. L’auteur des Romains de la décadence ne manque pas d’adresse : il connaît le maniement du pinceau, et dans la pratique matérielle de son métier il peut passer pour habile; mais il ne possède pas les premières notions du goût le plus vulgaire, et quand il s’agit d’inventer, il prend pour conseil les époques de décadence. Ce novateur si vanté, qui n’a pas régénéré, au dire de ses amis et de ses élèves, mais bien fondé l’école française, n’est tout simplement qu’un imitateur laborieux de la peinture française au XVIIIe siècle. Encore faut-il ajouter que tous les hommes de bonne foi, pourvus de lumières suffisantes, c’est-à-dire initiés à l’histoire de la peinture, jugent que l’auteur de l’orgie romaine s’est montré souvent inférieur à Vanloo et à Boucher. Quant à la grâce de Greuze, n’en parlons pas, M. Couture ne l’a jamais rencontrée; je ne sais pas même s’il l’a jamais cherchée. Peut-être aurait-il cru déroger en se préoccupant d’un tel modèle. Ce qui demeure établi pour les juges compétens, c’est que M. Couture jouit aujourd’hui d’une renommée que rien ne justifie. Ce qu’il est facile de prévoir, c’est que la vogue acquise à ses ouvrages n’a pas de longs jours à vivre, et que ses admirateurs les plus fervens s’étonneront bientôt d’avoir pu le prôner avec tant d’empressement. Enfant gâté de la mode, dans quelques mois peut-être, on aura oublié jusqu’à son nom. En attendant que le jour de la justice arrive, en attendant que le bon sens reprenne le dessus, contentons-nous de caractériser nettement ce talent dont on a voulu exagérer la valeur : ce n’est pas une manière nouvelle, mais un emprunt fait au XVIIIe siècle.

M. Courbet aurait voulu exposer au palais des Beaux-Arts ce qu’il appelle son œuvre; le jury ne l’a pas permis, et je n’hésite pas à déclarer qu’il a eu tort. Il eût été bon et salutaire de soumettre au jugement public l’ensemble des tableaux créés par cet autre novateur. En refusant une partie de ses ouvrages, dont plusieurs avaient déjà été exposés, le jury fait à l’auteur une position de persécuté, de génie méconnu qui n’est point sans danger pour le goût. Que M. Courbet sache imiter avec fidélité, avec évidence plusieurs parties du modèle vivant, ce n’est pas moi qui essaierai de le contester; mais qu’il soit peintre dans l’acception vraie du mot, c’est une autre question qui ne se résout pas de la même manière. L’auteur de l’Enterrement d’Ornans n’est pas seulement un praticien, c’est aussi un