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vont se perdre dans l’Océan-Glacial, et ne baignent que des contrées incultes, presque désertes, périodiquement désolées par les débâcles et les inondations causées par les glaces qui emprisonnent les embouchures : lieux d’exil et de châtiment, où les rigueurs d’un régime despotique s’ajoutent à celles de la nature. Les côtes et les plaines de l’Amérique septentrionale ont le même caractère de monotonie que celles de la Sibérie : ici encore le continent se perd insensiblement sous les mers arctiques ; seulement les inégalités de son relief ont donné naissance à des mers intérieures ou baies réunies entre elles par des canaux et des détroits. Qu’on se figure une surface presque plane, mais couverte en tout sens de rides et de bossellemens légers : à demi plongé dans l’eau, son niveau y tracerait les méandres les plus capricieux, et l’on aurait dans ces lacs, ces îles irrégulières, ces détroits sinueux, une miniature des parties les plus septentrionales de l’Amérique. Les dépressions qui servent de lit à ce qu’on nomme modestement les baies de ces régions sont véritablement énormes. Les baies de Baffin et d’Hudson ont plus de trois cents lieues dans leur plus grande étendue ; le grand canal qu’on nomme le détroit d’Hudson a cent soixante-dix lieues de longueur.

La presqu’île du Groenland forme un contraste frappant avec ces contrées basses qui s’étendent au-delà du Labrador. Deux chaînes de montagnes qui viennent se croiser à son extrémité méridionale en ont marqué le relief ; l’intérieur des terres est montueux, et les côtes sont anfractueuses et dentelées comme celles de la Norvège, qui leur font face de l’autre côté de l’Atlantique. Il y a bien des siècles que le flot de la mer bat ces noires et gigantesque falaises : les révolutions qui les ont fait surgir du fond des eaux se perdent dans la nuit des temps géologiques. Nos dates et nos ères s’effacent devant ces monumens, qui ne mesurent point les années de l’homme, mais les âges d’un monde.

Il est très intéressant d’étudier l’étendue et la distribution des glaces pendant la saison d’hiver dans toute cette zone boréale : elles remplissent et ferment complètement tous les passages dans ce qu’on pourrait nommer le grand labyrinthe arctique, depuis les approches des détroits d’Hudson et de Davis jusqu’aux plages inconnues du pays de Banks. On conçoit aisément combien ces régions basses et entrecoupées se prêtent à une pareille accumulation : les courans y sont peu rapides ; quand les premières glaces se brisent, leurs débris viennent s’arrêter à l’entrée de quelque étroit canal, où le froid les ressoude presque aussitôt. Terres et eaux se couvrent bientôt d’un immense manteau de neige et de glaces, et cette solitude désolée n’a pas moins de huit cents lieues de longueur dans sa plus vaste étendue. En même temps une ceinture de glaces borde