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avec des lèvres souillées de mensonge. Il me semblait que le Dieu des chrétiens était bien différent de celui-là; aussi mon âme, restée froide aux solennelles invocations des muphtis, s’associait-elle avec bonheur aux humbles prières du père de Nazareth invoquant la sainte Vierge et saint François.

Cette arrivée à Nazareth me plaçait dans un monde tout nouveau. J’avais vu la société musulmane, je savais quels étaient dans l’Asie-Mineure les résultats du régime créé par le Koran. Quelle pouvait être en Orient l’action du catholicisme ? Comment maintient-il son influence au milieu de sectes rivales et en face même de la religion musulmane ? Je me faisais ces questions tout en admirant la jolie petite chambre où j’allais passer la nuit. La maison où j’étais descendue à Nazareth appartient au couvent des capucins; elle est spécialement destinée aux voyageurs, les femmes n’étant pas admises dans l’intérieur du couvent. Ma chambre était voûtée, comme le sont tous les appartemens en Palestine; elle était pratiquée dans une sorte de tourelle. Un lit de fer, un ameublement simple et commode, tout m’y rappelait la bonne hospitalité d’Europe... Et cependant j’étais à Nazareth ! J’entrais dans une région consacrée par l’adoration de tous les âges! J’avais regretté d’abord d’arriver la nuit; quelques heures plus tard, je m’en félicitai, car j’avais ainsi retardé une épreuve pénible et singulière, — dont j’ai déjà parlé, — l’impuissance de tirer de la vue réelle des lieux célèbres les émotions que m’en procure en quelque sorte la vue intérieure et anticipée. C’était une déception de ce genre que j’avais éprouvée à Athènes et à Rome. Je me souviens encore d’avoir envié dans la plaine de Marathon l’émotion que le souvenir de Thémistocle éveilla chez un de mes compagnons de voyage. Cet homme, lettré et intelligent, avait pourtant l’esprit plus positif que poétique. Je vis une larme rouler sur ses joues, et pour moi, je l’avoue à ma honte, tout ce que je pus noter en visitant Marathon, c’est qu’il faisait bien chaud ce jour-là.

Le jour parut enfin. Je courus à ma fenêtre, impatiente de comparer la réalité avec le spectacle entrevu dans mes rêves. Voici ce que je vis. Bâtie dans la partie basse de la ville, qui est échelonnée sur le versant d’une montagne, la maison des franciscains dominait d’un côté le fond de la vallée, de l’autre elle avait vue sur la ville, qui se déroulait en amphithéâtre au-dessus de ma tête. Le coup d’œil était admirable. De petites maisons blanches séparées par de frais ombrages, où dominaient les fleurs rouges du grenadier, se détachaient vigoureusement sur un sol rougeâtre. Tout ce paysage enchantait les yeux; mais, hélas! c’est en vain que je cherchais parmi les femmes arabes de Nazareth les types que mon imagination s’était