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tous deux en contemplation devant ses peintures, il n’eût pu guère les accuser que d’indiscrétion. Corneil avait quelque chose de plus à reprocher à son élève, et l’on devine la confusion de celui-ci lorsqu’il vit apparaître au milieu de la nuit l’homme dont il croyait avoir trompé la vigilance. Le lendemain, Bartolini, vertement semonce, reprenait le chemin de Florence, où il allait chercher un nouveau patron.

Moitié ouvrier, moitié artiste, il ne pouvait espérer d’autres travaux que ceux qui lui seraient procurés dans une boutique. Le mot, même au XVIe siècle, servait à désigner l’atelier d’un sculpteur ou d’un peintre aussi bien qu’un établissement de menu commerce, un lieu où se débitent des objets d’art industriel; mais, à la fin du XVIIIe siècle, il ne gardait plus cette double signification, et il y avait alors entre un statuaire et un bottegajo (marchand) de sculptures la même différence qu’entre un élève et un apprenti. Bartolini n’en était qu’au premier degré de l’apprentissage; il lui fallait donc pendant quelque temps encore se contenter des leçons d’un praticien, quitte à se réserver l’avenir et à guetter le moment de se former auprès d’un artiste. La condition qu’il avait trouvée à Volterre, il la rencontra de nouveau à Florence, et il fut successivement employé par plusieurs marchands de sculptures en albâtre. L’ouvrage venait-il à manquer, il essayait d’autres ressources et s’enrôlait parmi les musiciens de quelque orchestre, dans quelque troupe de chanteurs, jouant du violon ou faisant sa partie vocale suivant le cas, le tout non sans applaudissemens parfois, témoin ce jour où il parut sur le théâtre de Piazza-Vecchia et y chanta avec succès, dit-on, une cavatine écrite expressément pour sa voix.

Cependant cette vie incertaine et tiraillée commençait, non à décourager Bartolini, mais à lui inspirer quelque doute sur la possibilité de développer à Florence même le talent sérieux qui germait en lui. Le moyen d’abandonner les travaux obscurs auxquels la pauvreté le condamnait? Et, d’autre part, comment compter sur des progrès décisifs alors qu’il n’avait d’autre objet d’étude que des modèles inertes, d’autre besogne que l’ornementation de vases ou de pendules? Une fois seulement il avait entrepris un ouvrage d’après la nature vivante; encore ce premier essai, — c’était le portrait de son frère, — n’avait-il pu être mené à fin, faute d’un peu d’argent et de loisir. Ajoutons qu’au chagrin de se sentir confiné dans une boutique se joignait pour Bartolini le regret de ne pouvoir suivre ceux de ses camarades qu’il voyait chaque jour partir pour la France. Un voyage à Paris, un séjour dans cette ville que la renommée de David et la révolution opérée sous son influence présentaient aux imaginations italiennes comme la métropole de l’art, quelle bonne fortune pour