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un jeune artiste, quel plus sûr moyen de se perfectionner et d’arriver promptement au succès! Tandis qu’Alfieri, mettant son animosité et ses rancunes personnelles sous le couvert du patriotisme, maudissait avec apparat la domination française et « les nouveaux barbares, » Bartolini acceptait l’événement de grand cœur, et n’aspirait qu’à en tirer profit. Aussi, loin de faire mystère de ses désirs, en parlait-il à tous venans, aux Français surtout qui s’arrêtaient pour quelque emplette ou pour quelque commande dans la boutique où il faisait son apprentissage. Un jour, l’un des généraux de notre armée entre chez le patron de Lorenzo et choisit divers objets qu’il veut, dit-il, rapporter en France, et qu’on devra lui envoyer sur-le-champ, parce qu’il se met en route le lendemain. S’il consentait à prendre le jeune apprenti pour domestique, ce voyage tant désiré pourrait s’accomplir. La négociation s’entame et réussit. Bartolini, que recommandent sa bonne mine et sa physionomie intelligente, devient sur l’heure, non pas un des serviteurs du général, mais une sorte de secrétaire à l’essai dont on verra plus tard à régulariser la position.

Après quelques semaines passées à Livourne ou sur les routes, et quelques croquis tracés chemin faisant, le jeune artiste est autorisé à prendre l’uniforme en qualité de dessinateur attaché à l’état-major : titre à peu près équivalent à celui que portait Gros pendant la campagne d’Italie. Jusque-là tout allait au mieux. Déjà on avait gagné Gênes; encore un peu, et l’on franchissait la frontière de France; malheureusement des événemens imprévus vinrent séparer brusquement Bartolini de son protecteur, et le pauvre dessinateur, désormais sans emploi, dut oublier ce rêve de quelques jours pour rentrer en lutte avec de tristes réalités. Poussin condamné à ne pas dépasser Lyon lorsqu’il s’acheminait une première fois vers Rome n’avait été ni plus cruellement déçu, ni même réduit à une telle misère. Si méconnu que fût encore le grand peintre, son talent avait suffi du moins pour lui assurer dans ce dur exil du travail et du pain. Ici, au contraire, nul moyen de subvenir aux nécessités actuelles, nulle apparence de travail pour le lendemain. N’importe, Bartolini n’en était pas à se mesurer pour la première fois avec l’adversité, et, bien déterminé à ne pas être vaincu par elle, il continue à tout hasard son voyage et finit par atteindre le but après des difficultés de toute espèce et des fatigues auxquelles, en dépit de sa jeunesse, il est souvent bien près de succomber. Cependant que trouve-t-il d’abord, sinon de nouvelles souffrances dans cette ville qui lui apparaissait comme un port de salut? Que de fois, pendant les premiers temps de son séjour à Paris, n’est-il pas obligé de recourir aux expédiens qui l’avaient aidé à vivre à Florence, et que de fois aussi la faim et la maladie ne le visitent-elles pas dans sa pauvre mansarde! Rien ne l’abat