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roi; je renonce aussi à mes projets de départ pour Saint-Pétersbourg. Aucune consolation ne me serait plus douce que cette nomination. »

Sans doute, en s’exprimant ainsi, Bartolini pressentait avant tout les services qu’il pourrait rendre et l’action utile qu’il exercerait sur la marche des études. Il est assez présumable toutefois que la perspective d’une vengeance à tirer sur place et le plaisir d’entrer en vainqueur dans un pays ennemi ne lui semblaient pas non plus des consolations à dédaigner. Ses premiers actes en effet n’annoncèrent pas des dispositions à la clémence. Un haut personnage l’ayant consulté sur les réformes à introduire dans l’organisation de l’académie, Bartolini, dit-on, proposa comme mesure préalable l’expulsion de tous les professeurs, lui excepté. Quelques mois plus tard, il donnait pour modèle aux élèves de sa classe un bossu et pour sujet de composition Ésope méditant ses fables. Un bossu dans ces murs accoutumés à n’abriter que les types classiques du beau, les exemplaires choisis de l’art antique ! l’imitation de la difformité prescrite comme moyen de progrès! quelle injure aux vieilles traditions, quel audacieux défi aux artistes qui s’évertuaient à les représenter! La guerre une fois déclarée dans le sein de l’académie, les hostilités se poursuivirent au dehors, et, l’émotion gagnant jusqu’aux hommes les plus désintéressés en apparence dans les questions de ce genre, peu s’en fallut qu’on ne vît se renouveler les ardentes querelles du XVIIe siècle. Le malheur était seulement qu’en se passionnant un peu trop vite, on courait grand risque de méconnaître le fond des principes et de n’aboutir, en vertu de ce malentendu général, qu’à des convictions de surface et à un enthousiasme stérile. C’est ce qui arriva en effet. Les nouveaux naturalisti acceptèrent, sans en étudier fort attentivement le sens, le mode de protestation choisi par Bartolini, et prirent pour une apologie formelle de la laideur ce qui n’avait été de sa part qu’une critique en action des doctrines et de la beauté conventionnelles. Les idealisti de leur côté s’indignèrent de cet apparent outrage à la majesté de l’art. Ils crièrent de confiance à la barbarie et surtout au barbare, sans se demander si le Sanglier antique, le Possédé de Raphaël, les Parques de Michel-Ange et d’autres morceaux aussi peu attrayans ne prouvaient pas que la force du style peut ressortir de la laideur même. En réalité, rien n’était changé encore aux habitudes pratiques de l’école. Aucune œuvre n’était venue démentir ou confirmer la justesse des opinions émises. On ne se battait même pas pour des théories; on guerroyait tout uniment pour savoir si un bossu avait pu légitimement ou non figurer quelques jours sur les tréteaux ordinaires des modèles.

La dispute durait depuis un an sans grand bénéfice pour l’art italien, lorsqu’un journal assez répandu, le Diario di Roma, essaya de