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lui-même et des vieux maîtres de son pays. Le restaurateur de la sculpture italienne, Nicolas de Pise, et après lui nombre de sculpteurs ou de peintres ont étudié assidûment les monumens de l’art grec et de l’art romain, cela est certain; mais toutes les fois qu’ils se sont laissés aller à répudier absolument pour cette étude leurs instincts personnels ou les traditions de leurs devanciers, ils ont à la fois amoindri leurs modèles et jusqu’à un certain point dépravé l’art national. L’école italienne n’a eu tout son éclat et toute sa force qu’aux époques où elle ne cherchait pas en dehors d’elle-même ses types et ses moyens d’expression.

Un des mérites de Bartolini est d’avoir travaillé à régénérer cette école en vertu de ses conditions originelles, de ses lois spéciales, de ses tendances éprouvées. Winckelmann et les autres théoriciens du dernier siècle, Canova et ses élèves semblaient s’être proposé beaucoup moins une restauration de la sculpture italienne qu’un replâtrage des doctrines antiques. Où était le progrès, le profit pour l’avenir? Lors même que l’art grec, implanté de vive force dans un terrain qui n’était pas le sien, se fût développé à souhait, qu’eût-il pu produire, sinon des rejetons éternellement semblables à lui-même et par conséquent en désaccord avec les premiers produits du sol? Bartolini voulait à bon droit déraciner cet art parasite. Tout en l’admirant là où il avait été en rapport avec les croyances et les mœurs d’un peuple, tout en l’étudiant comme un modèle de vérité et de goût, il le condamnait sans hésiter à titre de remède actuel et de point de foi moderne. Une occasion se présenta entre autres où il eut à formuler nettement les réserves sous lesquelles il entendait accepter les exemples antiques. Le consul de Grèce à Livourne lui avait écrit pour lui recommander un jeune sculpteur, son compatriote; Bartolini promet de bien accueillir celui-ci, mais il a soin d’ajouter en manière de pétition de principe ou de leçon anticipée : « Les Grecs furent d’excellens statuaires, parce que la religion leur ordonnait de montrer dans l’effigie de leurs dieux le type complet de la beauté humaine. Ils durent donc apprendre avant tout à copier la nature, et ceux qui surent le mieux l’imiter s’immortalisèrent; mais les plus grands d’entre eux, Phidias et Alcamène, ne firent pas longtemps école. Beaucoup de leurs successeurs subordonnèrent à un système pour ainsi dire géométrique l’imitation des formes du corps; ils s’imposèrent des règles qu’ont perpétuées malheureusement leurs nombreuses œuvres parvenues jusqu’à nous, et dont s’emparèrent les érudits. Sous l’étalage d’un fâcheux savoir, la naïveté disparut, c’est-à-dire ce qui avait été le fond même et l’origine des beaux-arts en Italie... » Et plus loin : « Nous nous sommes laissé tromper, et nous devons certes en gémir. Quant à vous autres Grecs, en