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donc si la perte de la Finlande mit en effet la Suède, comme on l’affirme, à l’abri des intrigues et des menées de ses redoutables voisins.

Stedingk avait repris, aussitôt après la paix de Frederikshamn, son ancien poste de ministre de Suède auprès du cabinet de Saint-Pétersbourg. Il est curieux de lire dans ses dépêches le récit de sa première audience. Alexandre le reçut dans ce même cabinet où Stedingk, dix-huit mois auparavant, avait vu se former l’orage et avait essayé, mais en vain, de le conjurer. Le vieux diplomate ne pouvait sans émotion reprendre en ce lieu sa carrière interrompue par un si cruel malheur, et son deuil était visible. L’empereur en fut embarrassé, et d’un ton qui essayait d’attirer la confiance : « Comment se porte le roi ? dit-il. — Sa majesté, répondit Stedingk, est loin d’être en bonne santé ; les derniers et tristes événemens qui ont accablé notre malheureuse patrie l’ont trop affligée. — Oui, reprit Alexandre, qui voulait éviter de parler du passé, les terribles circonstances qui nous ont assaillis ont amené des changemens qui doivent vous être pénibles ; mais soyez convaincu que la Russie ne veut plus désormais que mériter l’amitié de la Suède, et que nous ferons tout pour l’obtenir. » L’empereur se mit alors à répéter tout ce qu’il avait fait pour entraîner Gustave IV dans le système continental. Il raconta qu’à Erfurt Napoléon l’avait engagé à s’emparer des plus belles provinces de la Suède, et qu’il s’y était refusé, de quoi Stedingk le loua fort « dans l’intérêt de son honneur. » Alexandre finit en disant : « Veuillez, mon cher ambassadeur, assurer le roi votre maître que je l’estime, et que nos intérêts seront dorénavant les mêmes. Son bonheur et celui de la Suède me tiennent au cœur, et je souhaite que rien ne vienne troubler le repos dont j’espère qu’il va jouir. Je veux agir à l’égard de votre nation de manière à faire oublier tout le passé. . . » Le tsar se tut, comme s’il craignait d’aller trop loin. Il reprit bientôt, et parla avec enthousiasme de Napoléon ; mais Stedingk, dont Marie-Antoinette avait été la protectrice, et qui se rappelait les beaux jours de Versailles, était dévoué aux Bourbons. Alexandre le savait : « Vous êtes prévenu contre lui, dit-il, je ne l’ignore pas. Moi, je le connais depuis longtemps. Sans parler de ses qualités comme grand politique et de ce noble projet de fonder une paix européenne, qu’il exécutera, quelle noblesse et quelle droiture ! quelle fidélité à sa parole envers moi ! Son cœur m’est ouvert ; il ne me cache rien. Il a toute ma confiance, tout mon dévouement, et notre amitié ne finira qu’avec la vie. » La conversation revint ensuite sur les affaires de Suède, et, à ce propos, sur le prince Vasa, fils de Gustave IV. « Comment est-il possible, dit Alexandre, que toute la nation ait été unanime pour exclure du trône un jeune