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Bernadotte pût se présenter à l’empereur avec ce témoignage ou cet indice de l’assentiment de tout un peuple.

Il s’agissait maintenant de savoir si Napoléon n’opposerait pas dès le commencement à cette ouverture un veto ou bien un manque de bonne volonté absolu. On sait que depuis le 18 brumaire, et peut-être depuis l’époque même du mariage de Bernadotte, il manifestait pour le maréchal un éloignement marqué. Toutefois il répondit avec une apparente indifférence, en disant qu’il fallait attendre ce que ferait la diète, dont il ne voulait, quant à lui, influencer en rien les déterminations. Après cette première audience, qui du moins ne compromettait rien, Bernadotte partit pour sa campagne de La Grange, d’où il écrivit une lettre à l’empereur sur ce même sujet. D’ailleurs il laissa faire ses amis, après leur avoir donné à entendre qu’il accepterait volontiers l’élection du peuple suédois; l’article de la religion, condition sine quâ non à laquelle Eugène Beauharnais, dit-on, ne voulut pas se soumettre, ne devait pas faire une difficulté; le maréchal avait dit à Wrede qu’étant du pays de Henri IV, il lui était bien permis sans doute de suivre son exemple.

On a vu ce qui s’était fait à Paris en faveur de la candidature improvisée. Avant de transporter la scène en Suède, où devait se consommer l’élection, n’oublions pas le malheureux ministre de Suède à Paris, M. de Lagerbielke, sous les yeux duquel toute cette intrigue avait été conduite sans qu’on lui en communiquât et sans qu’il en découvrît le premier mot. On se figure aisément son dépit d’avoir été négligé ou joué de la sorte. Ce fut le général Wrede qui le 30 juin, au moment où Mörner quittait Paris et où lui-même se préparait à partir, crut devoir informer enfin le représentant du cabinet suédois des nouvelles destinées qui se préparaient pour son pays. Quand Lagerbielke entendit toute cette incroyable histoire d’un lieutenant s’avisant de faire un roi et s’improvisant diplomate, quand il sut que la proposition de ce lieutenant était montée jusqu’à l’empereur et que la chose pouvait devenir sérieuse, il resta, disent les lettres du général Wrede, comme frappé de la foudre. Sa pâleur, ses lèvres tremblantes, ses regards égarés témoignaient de l’humiliation profonde que lui faisait ressentir une telle mystification. Son imagination effrayée, venant au secours de son amour-propre blessé, lui montrait mille fantômes, comme l’asservissement de la Suède à la France et l’anéantissement du commerce suédois après la rupture avec l’Angleterre; il se représentait d’un autre côté le ministre des affaires étrangères à Stockholm, le roi lui-même apprenant toutes ces intrigues sans que la correspondance officielle en eût saisi ou seulement soupçonné le moindre fil; derrière les nuages qui couvraient encore un si prochain avenir, il voyait le nouveau candidat