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d’une longueur invariable, un gramme l’expression d’un même poids. Un franc composé de cinq grammes d’argent à 900/1000 ne représente pas toujours la valeur de la même quantité du même blé, pas même la valeur d’un même poids d’argent à 900/1000 non monnayé : il est immuable matériellement, commercialement il est soumis à toutes les oscillations du prix du marché ; mais, la dénomination monétaire étant constante, la variation de la valeur des monnaies se traduit par l’élévation ou l’abaissement du prix des objets en échange desquels on les donne.

Les monnaies sont cependant un terme de comparaison entre toutes les valeurs, puisqu’elles servent d’intermédiaire à tous les échanges ; mais si l’on s’en sert pour mesurer les autres valeurs, il ne faut jamais oublier que ce sont des mesures trompeuses dont l’inexactitude doit être corrigée dans les transactions à long terme et d’un lieu sur un autre. Si vous recevez, aujourd’hui 10,000 fr. pour les rendre dans vingt ans, il est à peu près certain que dans vingt ans vous rendrez une somme d’argent qui vaudra plus ou moins que celle que vous avez reçue, et cela était aussi vrai du temps des Grecs et des Romains, au moyen âge ou dans les derniers siècles qu’aujourd’hui. En un mot, tout engagement à terme est un contrat aléatoire ; il n’y a aucune différence sous ce rapport entre celui qui a stipulé la livraison de 100 kilos de blé et celui qui a stipulé une somme, c’est-à-dire un certain poids d’or ou d’argent. L’un et l’autre se libèrent en livrant la chose promise, quelque changement de valeur qu’elle ait subi depuis la date du contrat. Celui qui gagne aurait pu perdre, son bénéfice est légitime ; celui qui perd aurait pu gagner, il n’a pas le droit de se plaindre.

Tout a été tenté pour donner aux monnaies une valeur fixe, et par conséquent différente de celle du marché, et tout a échoué. Les expériences sont assez complètes pour qu’il soit permis de dire que la question est résolue, et que la variabilité est une infirmité incurable de tout système monétaire. Chercher une monnaie de valeur fixe, c’est chercher la quadrature du cercle.

La monnaie est donc une marchandise, et à l’origine des sociétés cette marchandise se vendait, et s’achetait au poids. Il en est encore ainsi en Chine et en quelques autres pays[1]. Les divisions de la monnaie n’ont été d’abord que des divisions de poids, et n’auraient jamais dû être autre chose. Si les acheteurs et les vendeurs livraient ou recevaient pour solde de leurs comptes des grammes et kilogrammes d’or ou d’argent, il n’y a pas un marchand au détail, pas une revendeuse de fruit ou de poisson, pas un journalier qui ne connût

  1. Dans l’Amérique espagnole, l’once d’or est encore en usage.