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la théorie des monnaies aussi bien que les plus savans économistes : tous sauraient qu’ils échangent leur marchandise contre une autre, que la valeur de la marchandise qu’ils reçoivent, — la valeur de l’or ou de l’argent, — ne peut pas plus être garantie par le gouvernement contre la hausse ou la baisse, que ne le sont les denrées ou valeurs qu’ils donnent en échange ; mais il n’en est pas ainsi. Dans l’antiquité aussi bien qu’au moyen âge et dans les temps modernes, des gouvernemens aussi avides que peu éclairés sur leurs véritables intérêts ont altéré les poids et les titres des monnaies, ont supprimé les dénominations déduites de leur poids, et les ont remplacées par des termes arbitraires empruntés à des noms de souverains, de peuples, etc., n’exprimant aucun rapport avec la valeur des monnaies, et masquant leur qualité essentielle de marchandises, a ce point que plusieurs siècles de labeurs scientifiques ont à peine suffi pour la leur restituer. L’usage une fois établi et le droit de battre monnaie étant devenu un attribut de la souveraineté, chaque état s’est créé une nomenclature arbitraire ; de là les couronnes et les souverains en Angleterre, les ducats et les florins d’Allemagne, les piastres d’Espagne, les aigles des États-Unis, les sequins de Venise, les impériales de Russie, les frédéricks de Prusse et les francs de notre monnaie, etc.

Toutes ces dénominations et bien d’autres, créées par autorité ou par coutume, n’expriment pour la plupart de ceux qui s’en servent que des idées obscures et confuses. (Combien y a-t-il de Français, par exemple, qui sachent ce que c’est qu’un franc[1] ? Peut-être pas dix mille sur trente-six millions ; un franc est, pour la majeure partie du public, quelque chose de mystérieux et de cabalistique. Si un phénomène monétaire se produit, ceux qu’il favorise en profitent sans chercher a s’en rendre compte, et ceux qui en souffrent vont soumettre l’énigme au gouvernement, qu’on croit volontiers en France un docteur de omni re scibili et quibusdam aliis. Le gouvernement, animé du désir de justifier la confiance qu’on lui montre, n’est que trop disposé à résoudre le problème par ce qu’on pourrait appeler la panacée française, une ordonnance ou un règlement. Heureusement, depuis les grands principes enseignés à Mirabeau par Darcet et développés par ce puissant génie devant l’assemblée constituante de 1789, le gouvernement s’est maintenu dans les strictes limites de ses attributions monétaires normales, et, sauf quelques écarts sans importance, il a marché depuis soixante ans dans la voie indiquée par la nature des choses à l’origine des sociétés, et retrouvée par la science après des siècles de tâtonnemens et d’erreurs.

  1. 4 1/2 grammes d’argent fin, ou, suivant la définition légale,5 grammes d’argent à 900/1000 de fin.