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Huygens l’avait fait avant lui, mais la cause d’aplatissement qu’il alléguait n’était pas la seule agissante. Depuis Louis XIV, il ne s’est pas écoulé cinquante ans de suite sans une expédition, en France ou au dehors, ayant pour but la détermination de la figure de notre globe. Les travaux des académiciens sur ce sujet sont aujourd’hui remplacés par ceux des officiers d’état-major, auxquels on doit la nouvelle carte de France et un grand nombre de travaux géodésiques du premier ordre, qui, avec l’intervention du directeur actuel de l’Observatoire de Paris et les longitudes électriques, vont atteindre le dernier degré de la perfection.

C’est à Louis XIV qu’il faut faire remonter l’honneur de la première mesure exacte de la terre. Il confia ce travail à l’abbé Picard, dont la réputation dans le monde littéraire n’est pas à la hauteur de son mérite. Cet excellent observateur adapta le premier des lunettes à ses instrumens géodésiques. Il poussa ses triangles jusqu’à Amiens, et pour point de départ il mesura exactement une distance de dix kilomètres sur la route de Paris à Fontainebleau. Cette localité doit être à jamais célèbre dans les fastes de la géodésie. Au-dessus de Villejuif commence une plaine immense, élevée de quatre-vingts à cent mètres au-dessus du niveau de l’océan, et qui atteint à son extrémité les premières maisons de Juvisy. La route traverse en ligne droite cette vaste étendue, qui n’offre aux regards rien de pittoresque. Pour toute contemplation, le vent y fait l’été onduler les épis d’un sol d’une fertilité rare. L’hiver, ce plateau se couvre d’un tapis de neige non moins monotone. La verdure du printemps, les guérets de l’automne qui nous y montrent homériquement la terre noircissant sous le travail de la charrue, tout y est réglé et normal. C’est là le domaine exceptionnel de la météorologie pour les pluies, les rosées, les orages, les vents, la chaleur et les influences agricoles. Au milieu de cette base de l’abbé Picard, à la rencontre de la route qui vient de Versailles, quelques maisons formant le hameau de la Belle-Épine marquent l’origine des eaux qui vont sourdre plus bas, à quelques centaines de mètres, et qui alimentent l’aqueduc d’Arcueil. Là, loin de l’influence de la capitale, les saisons conservent leur type normal. Les nuits, peu semblables à celles de Paris, sont calmes et obscures.

On n’y voit que la nuit, n’entend que le silence,


pour emprunter l’expression de ce Delille auquel on refuse aujourd’hui le titre de poète. Là sans doute on élèvera quelque jour un monument à l’abbé Picard. Ce fut sa mesure de la terre qui révéla à Newton qu’il tenait le secret de l’univers, l’attraction. La mesure de la terre par Picard lui disait : Tu l’as trouvé!

Voilà la terre définie dans son ensemble, mais les mesures modernes sont si précises, qu’on aperçoit mille petites irrégularités dans cette figure. J’ai hasardé depuis bien des années l’idée que cette vaste masse fluide ne tournait pas uniformément sur elle-même, et que les parties centrales tournaient un