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prochaient des principales positions ennemies au point de ne plus pouvoir avancer. Les moyens d’attaque des alliés s’étaient accrus, et au commencement du mois le feu prenait une intensité formidable, à chaque instant plus meurtrière. Quelques aveux échappés au chef de l’armée du tsar et divulgués pour la première fois, avec calcul sans doute, révélaient les dommages éprouvés par les travaux russes, comme pour préparer à un dénoùment dès lors prévu par les assiégés. Tout semblait indiquer ainsi l’épuisement de la garnison et l’imminence d’une lutte décisive. C’est le 8 septembre à midi que le signal de l’assaut a été donné contre le bastion Malakof et le redan du carénage d’abord, contre le grand redan et le bastion central ensuite.

Ces travaux, armés d’une façon formidable, défendaient la ville sur un front étendu de la gauche du siège à l’extrême droite, qui va aboutir à la grande baie de Sébastopol. Les troupes françaises avaient à faire face à trois des ouvrages russes, Malakof, le redan du carénage et le bastion central. L’attaque des Anglais était dirigée contre le grand redan seulement. De ces diverses positions, Malakof est la plus forte, on le sait ; c’est là qu’échouait une première fois l’assaut du 18 juin. Par une circonstance merveilleuse, c’est l’entreprise la plus difficile qui a été couronnée du plus éclatant succès aujourd’hui. Nos soldats ont emporté la position russe avec une indomptable bravoure, et ils ont pu s’y établir solidement. L’assaut du redan du carénage ne réussissait pas à un égal degré. Après s’en être rendus maîtres, ceux qui l’occupaient ont été obligés de céder devant un feu meurtrier. Il en était de même du côté de l’attaque anglaise. Nos intrépides alliés ont enlevé le saillant du grand redan, mais ils n’ont pu s’y retrancher convenablement. Après ce premier succès, ils se sont trouvés en face d’une immense artillerie et de puissantes réserves, devant lesquelles ils ont dû se replier. Enfin, au bastion central, l’attaque était renouvelée deux fois, et deux fois elle échouait.

Ce qui a été déployé d’énergie et d’héroïsme dans ces luttes terribles, où nos généraux ont marché au premier rang, ce qu’il y a eu aussi de pertes douloureuses, on peut le pressentir sans doute. Le prince Gortchakof dit dans ses dépêches, publiées à Saint-Pétersbourg, que l’armée russe a eu à soutenir six assauts successifs. Il parle évidemment des attaques dirigées sur les divers points. Toujours est-il qu’à l’issue de ces sanglantes mêlées Malakof restait la conquête définitive de nos soldats, et l’expérience n’a point tardé à montrer que là était le point vulnérable de la défense russe, la clé de la ville. Malakof une fois pris, en effet, la pensée d’évacuer Sébastopol semble être née instantanément dans l’esprit du chef de l’armée russe. Pendant la nuit, il faisait sauter les défenses, les magasins, les principaux édifices publics ; il ajoutait son feu à celui de nos bombes. Il ne se bornait pas là ; il coulait ou incendiait les navires restés dans le port, de telle sorte, on peut le dire, que la ville et la flotte disparaissaient à la fois. Le matin du 9 septembre, le prince Gortchakof faisait passer la garnison du côté du fort du Nord par le pont établi sur la baie ; puis il coupait le pont, ne laissant aux alliés, suivant son expression, que des ruines ensanglantées. Les alliés ne pouvaient évidemment s’attendre à trouver une cité florissante ; ils paraissent avoir trouvé du moins encore un matériel et des établissemens immenses.