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aussi bien que par les liens politiques, c’est l’Italie. Aujourd’hui comme à toutes les époques, les affaires de la péninsule se mêlent aux affaires générales, et sont un des élémens permanens de cette situation, qui se déroule en embrassant toutes les forces et tous les intérêts de l’Europe. Pour l’Italie, au milieu de ses aspirations et de ses incertitudes, les révolutions dernières marquent en quelque sorte un nouveau point de départ ; elles ont laissé des questions intérieures aggravées par l’entraînement des partis et des passions mal apaisées, en un mot tout un travail à recommencer par des générations qui grandissent. Politiquement il en est ainsi, et n’en est-il pas de même dans les choses de l’intelligence ? Les événemens accomplis il y a quelques années semblent avoir été le terme où est venu expirer pour ainsi dire tout un mouvement intellectuel. C’est le mouvement qui a rempli la première partie de ce siècle, qui s’est étendu à tous les domaines de la poésie, de la littérature ou de la science, et qui a compté dans les divers pays de l’Italie une foule d’esprits brillans ou vigoureux. À cette virile génération appartenaient des hommes connus hors de l’Italie, et d’autres qui le sont moins, ie religieux Manzoni, le doux et résigné Silvio Pellico, le pathétique et sombre Leopardi, le savant Romagnosi, l’éloquent et disert écrivain Pietro Giordani, dont la correspondance se publie en ce moment à Milan, Gioberti, plus éminent par l’ingénieuse puissance de l’esprit que par la rectitude de toutes ses vues, et enfin, sans compter les noms qu’on y pourrait joindre, un des plus remarquables philosophes de l’Italie contemporaine, Antonio Rosmini. À travers les diversités de leurs origines, de leurs talens ou de leurs tendances, ces esprits avaient le mérite d’exprimer la pensée italienne, et même en se retranchant dans les œuvres purement littéraires, ou en nourrissant des idées différentes, ils concouraient à ce mouvement de nationalité qui fermente toujours au sein de l’Italie ; ils travaillaient à maintenir la nationalité idéale de l’intelligence et de l’imagination. C’est cette période qui semble s’achever aujourd’hui. En peu de temps, l’Italie a vu disparaître bien des hommes de cette génération, Gioberti, le physicien Melloni, Baibo, — Grossi, le poétique auteur de Marco Visconti, — le lyrique Berchet, et récemment encore c’était le tour de Rosmim, qui mourait près de Milan, où il s’était retiré depuis quelques années.

L’influence de Rosmini a été considérable en Italie, bien que son nom soit plus connu que ses œuvres en Europe. Antonio Rosmini Serbati était né à Rovereto, dans le Tyrol italien, le 24 mars 1797. Issu d’une famille patricienne et riche, sous les auspices de laquel’e il pouvait entrer facilement dans le monde, il était entraîné par une piété fervente vers la vie ecclésiastique. Il allait à l’université de Padoue en 1817, et là s’éveillait son goût pour les études philosophiques. Il se liait avec Manzoni et se faisait distinguer des papes Pie VII et Léon XII, étant déjà eu relations d’amitié avec Mauro Capellari, qui devait être Grégoire XVI. C’est en 1830 seulement, après dix années de méditations et de recherches, qu’il se révélait sérieusement par la publication de son Essai nouveau sur l’origine des Idées. Là commençait son action publique. À dater de ce moment, il abordait dans des œuvres successives toutes les questions de psychologie, de logique, de morale, de théodicée, de politique même ; en un mot, il y avait ce qu’on a appelé en