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Italie une doctrine rosminienne, qui avait ses disciples et ses ardens adversaires. Les théories de Rosmini, comme tout ce qui est système, peuvent être défectueuses dans ce qu’elles ont de systématique ; elles procédaient du moins d’une intention élevée, celle de concilier la raison et la foi, la religion et la philosophie. Rosmini s’est trouvé souvent en opposition d’idées avec Gioberli ; mais quand l’auteur du Primato était dans l’exil, le philosophe de Rovereto ne se souvenait plus de ses démêlés, et cherchait, avec une délicatesse extrême, à venir en aide à son ancien adversaire.

Rosmini ne faisait pas seulement des livres ; il avait fondé près de Milan un ordre religieux nouveau, l’Institut de la Charité, dont il avait été nommé général, et qu’il destinait à l’éducation de la jeunesse. Sa pensée peut-être était de former de jeunes prêtres sous l’inspiration de ses idées et de ses doctrines. Bien que strictement fidèle aux dogmes catholiques et à l’autorité du saint-siége, il ne put échapper à l’inimitié des jésuites, et ce fut surtout à l’occasion de son livre sur les cinq plaies de l’Église. On était déjà en 1848 ; Rosmini était environné d’une considération universelle. Attiré un moment dans la vie politique, il fut choisi par le cabinet piémontais pour aller en négociateur à Rome, et le pape le reçut avec une grande faveur ; il voulut même l’élever au cardinalat et le nommer son ministre de l’instruction publique sous M. Rossi. Rosmini, on peut le dire, fut cardinal sans avoir jamais revêtu la pourpre : entre le choix et la confirmation, il y avait eu la révolution romaine et la fuite du pape. Rosmini ne voulut rien accepter de la révolution ; il suivit Pie IX à Gaëte, mais en même temps il restait fidèle à des idées plus libérales que celles qui dominaient autour du pape. Dès lors il était à peu près disgracié, et il se réfugiait dans sa retraite de Stresa, près du Lac-Majeur, où il a vécu pendant ses dernières années, consacré aux devoirs du sacerdoce et aux travaux philosophiques. Lorsque la mort venait le surprendre récemment, il mettait la dernière main à un livre sur l’ontologie et à un ouvrage sur Aristote. Rosmini était sans nul doute un des hommes les plus remarquables de cette période dont nous parlions et qui tend à se clore pour l’Italie. Maintenant ce mouvement où le philosophe de Rovereto a eu sa place continuera-t-il ? conservera-t-il sa force en se transformant ? Il en est un peu au-delà des Alpes comme partout : entre les esprits marquans de la première partie de ce siècle et leurs successeurs, qui viendront sans doute, il y a une sorte de halte où se révèle plus de lassitude que d’activité.

Un des caractères de la situation intellectuelle de l’Italie aujourd’hui, c’est une certaine confusion dans les esprits et dans les œuvres. Dans la philosophie, dans le roman, dans les études historiques comme dans la poésie, peu d’essais nouveaux et sérieux se produisent, et le dernier roman de M. Guerrazzi, Béatrice Cenci, ne fait que reproduire cette acre et déclamatoire violence d’inspiration qui se trouve dans les autres ouvrages de l’ancien dictateur de Florence. Il est cependant deux points de l’Italie où l’activité littéraire se manifeste assez pour qu’on puisse observer ce qui manque à la pensée italienne et ses efforts pour entrer dans une voie nouvelle. Ces deux points sont la Toscane et le Piémont. La Toscane a toujours eu le privilège d’être plus libérale par ses mœurs et par ses habitudes intellectuelles que par le